Comment expliquer le surchômage des étrangers ?
Plus d’une personne active sur dix est immigrée, soit 3 173 900 immigrés actifs sur 29 345 800 personnes actives en 2020 (en activité, en emploi ou au chômage). Le taux de chômage pour l’ensemble de la population active s’élève à 8%, il s’élève à 12,9% pour l’ensemble des immigrés, mais se répartie différemment en fonction de l’origine : immigrés UE (6 %), immigré hors UE (15,1%), étrangers hors UE (18,4%) (Insee, Enquêtes emploi 2020).
Pour interpréter ce surchômage, plusieurs explications et hypothèses sont avancées qui font la part entre les discriminations, la prise en compte des niveaux d’instruction et de formation, les défauts d’intégration, les emplois fermés aux étrangers, etc.…
Une population particulièrement touchée par les crises
Faiblement qualifiée pour une part, la main d’œuvre étrangère est la première victime des crises. Ce fut le cas dans les années 70, les secteurs industriels frappés par la crise (automobile ou sidérurgie) ont d’abord licencié les salariés étrangers, notamment ceux d’origine nord-africaine et subsaharienne. Ces derniers, à la différence des salariés portugais ou espagnols, travaillaient massivement dans ces secteurs. Même scénario une décennie plus tard, dans le BTP ou l’automobile où près de la moitié des licenciements ont concerné des salariés étrangers. Premiers licenciés, les travailleurs étrangers jouent un rôle d’amortisseur au chômage des autochtones ou "natifs". Dans le domaine des services, cette main d’œuvre a aussi essuyé les plâtres de la flexibilité.
Une faible qualification qui fragilise
De manière générale, en 2020, 15,9% des ouvriers non qualifiés étaient victimes du chômage (contre 6,9% pour l’ensemble de la population active masculine) or les immigrés occupent plus souvent que les non-immigrés des postes d’ouvriers (29 % contre 18 %) et moins souvent ceux de professions intermédiaires (17 % contre 28 %). (Voir sur le site de l'INSEE les chiffres clés sur l'activité, l'emploi et le chômage des immigrés par origine géographique en 2020)
Le surchômage tient aussi aux niveaux de qualification : les immigrés sont en moyenne moins diplômés que les personnes nées en France. 40 % des immigrés de 15 à 64 ans disposent au maximum du brevet des collèges ou du certificat d’études primaires, contre 26 % pour l’ensemble de la population de cette tranche d’âge vivant en France, selon l’Insee (données 2014, dernière année disponible). Or le chômage frappe d’abord les catégories socioprofessionnelles les moins qualifiées : en 2020, 47,7% des personnes actives n’ayant aucun diplôme ou un brevet des collèges et ayant achevé leur formation initiale depuis 1 à 4 ans sont au chômage contre 22% pour les niveaux BAC, CAP ou BEP et 10,5 % des personnes actives ayant un diplôme de niveau bac + 2 ou plus (source INSEE). Le taux de chômage des non diplômés s’élève en 2020 à 13,9% (il est de 8% pour l’ensemble des actifs).
Des discriminations liés à l’origine et aux lieux de vie
Mais le niveau de diplôme n’explique pas tout. À diplôme équivalent, le taux de chômage des immigrés demeure supérieur. Ainsi, 18,8 % des immigrés titulaires d’un baccalauréat sont au chômage, contre 9,8 % des Français nés en France du même niveau de diplôme, soit deux fois plus. Pour les titulaires d’une licence et plus, les chiffres sont respectivement de 11,4 % et 5 % (Insee 2016). Les étrangers subissent des discriminations liées à leur origine et/ou à leur quartier de résidence.
"Effet origine" : les discriminations sont plus ou moins importantes, selon l’origine des immigrés : de faibles pour les ressortissants des pays d’Europe du Sud, elles frappent principalement les ressortissants d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne. Ainsi le code "BBR" mis en place dans les années 2000 dans les agences d’intérim permettait de ne retenir que les candidats dits "Bleu Blanc Rouge" et d’exclure les autres (voir aussi TeO1, Montaigne 2015 ou Le Défenseur des droits)
"Effet quartier" : Le taux de chômage dans les quartiers dits « prioritaires » de la politique de la ville s’élève à 23,4 % soit près de trois fois plus que dans les quartiers environnants (8,9 %), (« Bien vivre dans les quartiers prioritaires », rapport annuel 2019 de l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV), 2020). Chez les jeunes actifs de moins de 30 ans, le taux approche même les 33 %, contre 15 % dans les autres quartiers. La moindre qualification des habitants de ces quartiers ne constitue pas une explication suffisante puisque par exemple le taux de chômage est de 16 % pour les bac + 2 et plus, contre 6 % dans les quartiers avoisinants, soit près de trois fois plus. Les explications sont nombreuses : réseau social, mobilité, type de diplôme, adresse sur un CV, ou encore sentiment d’illégitimité, (in)adaption entre les formations et les profils de poste…
Pour autant, le taux de chômage dans ces quartiers a diminué de 26,7 % à 23,4 % entre 2014 et 2018, davantage que la moyenne dans les autres quartiers (9,9 % à 8,9 %) et ce malgré l’arrivée de nouveaux habitants plus en difficulté et le départ des personnes qui ont les moyens de partir, notamment les jeunes les plus diplômés.
Pour l’OCDE (Perspectives des migrations internationales 2021), la concentration des immigrés dans certaines zones, en particulier dans les quartiers pauvres et à la périphérie des grandes métropoles engendre des effets complexes sur l’intégration. Si, dans un premier temps, cette installation peut être associée pour l’immigré à de meilleures perspectives d’emploi, à plus long terme, cette concentration nuit à l’acquisition de la langue du pays d’accueil et, bien souvent, à la scolarité des enfants d’immigrés. Il semble également que la ségrégation résidentielle ait des effets plus négatifs sur les femmes que sur les hommes. Pour l’OCDE, la priorité des pouvoirs publics ne devrait pas consister à prévenir la ségrégation résidentielle des immigrés, mais plutôt à renforcer la mobilité en dehors de ces zones. Il faudrait aussi accorder une plus grande attention à l’accès des immigrés à des logements de qualité.
Parmi les autres discriminations figurent les 5,3 millions d’emplois interdits aux étrangers ou les difficultés administratives pour obtenir une autorisation de travail. De même, les diplômes de certains étrangers ne sont pas reconnus en France de sorte que l’écart d’accès à l’emploi entre immigrés et non immigrés est plus grand pour les immigrés qualifiés. Ainsi, les immigrés diplômés sont aussi surexposés au chômage et de manière plus importante que les non-diplômés. Pour autant, leur taux d’emploi est toujours supérieur à celui des immigrés non diplômés.
Mustapha Harzoune, 2022