les Recompositions culturelles. Sociologie des dynamiques sociales en situation migratoire.
Abdelhafid Hammouche
“Tout jugement définitif sur la vie des gens est figé comme un axiome. Or, la vie est à l’opposé de l’immobilité. Il faut donc, pour rester dans le vrai, présenter des cas particuliers, des faits précis. Mais le même cas change souvent d’aspect et les faits se succèdent sans jamais se ressembler.” Cette pensée, étonnement moderne, du romancier algérien Mouloud Feraoun pourrait servir d’illustration au livre de notre collaborateur Abdelhafid Hammouche. Dans Les Recompositions culturelles, il montre justement combien chaque situation est particulière, mouvante, complexe. Pour rendre compte de l’évolution des liens communautaires et des processus d’individuation à l’œuvre au sein d’une communauté d’origine algérienne, installée depuis plusieurs décennies dans la partie nord de la ville de Saint-Étienne, il décrit, avec précision, les évolutions socio- économiques et urbaines, notamment le passage d’un quartier industriel, celui du Marais, à la ZUP de Montreynaud. Il s’efforce de rendre compte des relations et des transformations survenues au sein des familles et des couples, de l’évolution des relations intergénérationnelles. Il reconstitue, décode le lien tissé par ces familles entre leur inscription dans l’espace public national et leur relation avec le pays d’origine. A. Hammouche aborde, à son tour, des thèmes brûlants, trop souvent sources de confusions et de simplifications. Il s’agit ici de questions culturelles et d’identités ; de la transmission et du renouvellement des héritages ; de filiations et de ruptures intergénérationnelles ; d’appartenance au groupe et de processus d’individuation... Autant de thématiques sur lesquelles se penchent de plus en plus d’essayistes, autant de sujets qui constituent le fil rouge de nombreux romans et autres autofictions d’auteurs issus des migrations internationales, autant, enfin, d’enquêtes et autres reportages journalistiques qui cherchent à décrypter la présence de l’altérité chez des individus devenus des “individus monde” et au sein de sociétés de plus en plus ouvertes, perméables et traversées d’influences extérieures. L’originalité de l’approche proposée par l’auteur est de partir d’un double processus à l’œuvre : le processus relationnel, qui rend compte des actions et interactions humaines, sociales ou culturelles, et celui de la mobilité, autrement dit du caractère changeant des cultures, des identités et des liens. Pour rendre compte de ces processus, A. Hammouche forge le concept de “recomposition culturelle” qui offre d’emblée l’intérêt de poser les questions en termes dynamiques et évolutifs. Ainsi, la nature première des dynamiques sociales et culturelles à l’œuvre en situation migratoire est donnée pour ce qu’elle est : permanente et sans fin. A. Hammouche dit s’inspirer à la fois de Max Weber (en prenant quelques libertés avec la notion de “communalisation”, il interroge les mécanismes au cœur du sentiment d’appartenance à un tout, englobant et jamais achevé), de Pierre Bourdieu (celui de Sens pratique) et des travaux, toujours féconds, d’Abdelmalek Sayad (celui qui, prenant en compte émigration et immigration, engage à étudier les questions de frontière et de limite, l’espace du politique, le statut de l’étranger au cœur de la nation...).
Il est une autre notion au cœur de ce travail – notion absente du livre et pourtant constamment présente chez le lecteur par ailleurs sensible aux travaux d’Edgar Morin : la notion de complexité. En invitant à prendre en compte “une multitude de facteurs”, à saisir les différents “registres” des recompositions (familial, générationnel, sexuel...), à toujours les situer dans le temps et dans l’espace, en ne perdant jamais de vue les questions du relationnel, des phénomènes d’action et de rétroaction, des convergences et des divergences, des complémentarités et des oppositions, A. Hammouche semble manier les outils de la complexité tels qu’Edgar Morin les définit dans sa magistrale Méthode (La Méthode, tomes 1 à 6, 1981/2004, coll. “Essais”, Seuil). Comme l’écrit l’auteur, la notion de “recomposition culturelle” présente quelques avantages sur d’autres termes en vogue. Ainsi, elle valorise l’aspect dynamique, toujours inachevé, aussi bien des cultures en présence que des interactions, ce dont ne rend pas compte le terme de “métissage” ; elle n’évacue pas, une fois de plus, la notion d’interaction, fût-t-elle déséquilibrée, entre le tout et les parties, ce qui rend la notion d’“intégration” critiquable. Enfin, par rapport aux actuels débats et enjeux de société, utiliser les outils d’une approche théorique soucieuse de “coller” au plus près du caractère dynamique des réalités migratoires offre l’opportunité de résister aux représentations mentales d’un autre âge et à l’essentialisation de groupes humains, de cultures ou de religions rabaissés aux pires images héritées des XVIIIe et XIXe siècles.