Paris-Alger, couple infernal
de Jean-Pierre Tuquoi, Grasset, 2007, 125 pages, 9 euros
Ancien correspondant du Monde en Algérie, auteur de plusieurs ouvrages sur l’Afrique du Nord et notamment sur le Maroc, Jean-Pierre Tuquoi est à son affaire pour écrire cette histoire du couple Paris-Alger. Rafraîchissant la mémoire de son lecteur grâce à quelques rappels historiques, il décortique surtout les quatre dernières années de cette relation tumultueuse, avec pour point d’ancrage la fameuse loi du 23 février 2005 et le non moins fameux deuxième alinéa de l’article 4 sur “les effets positifs” de la colonisation. Il montre à la fois la genèse de cet article, les conditions de son vote, les réactions et les conséquences qu’il a suscitées. Autres temps forts de ce bras de fer voire de ce mano a mano franco-algérien, la campagne présidentielle en France et le projet chiraquien de traité d’amitié d’une part, les vicissitudes de la politique intérieure en Algérie de l’autre. Qu’il existe encore en France des groupes de pression d’autant plus actifs qu’ils sont ultra minoritaires, quelques personnalités, des parlementaires – particulièrement dans les rangs de l’UMP – pour qui la guerre d’Algérie n’est pas finie, on s’en doutait. Plus intéressante est la mécanique mise à nu par l’auteur qui, depuis 2003, se met en branle pour aboutir au vote de février 2005. Vote survenu dans un Parlement quasi vide, où le PS, représenté par Kléber Mesquida, somnole... à moins que ce député, élu de l’Hérault – département qui compte nombre de pieds-noirs – et né en Algérie, ne moufte pas non “par inadvertance” mais par tacite consentement. À ce vote s’ajouteront les maladresses, l’incompétence ou les arrière-pensées de certains, à commencer par le ci-devant ministre des Affaires extérieures, Douste-Blazy, qui en prend ici pour son grade. Alors que les relations entre les deux capitales étaient plutôt sereines, amicales même, entre Chirac et Bouteflika, voire propices à des avancées significatives, le climat va très vite se détériorer. Résultat, exit le traité d’amitié cher à l’Élysée (prématurément annoncé le 15 avril 2004 pour l’année suivante par un Chirac fougueux et grisé par l’accueil que lui avait réservé le peuple algérien en 2001 et en mars 2003) et place aux déclarations incendiaires du président algérien. Car Bouteflika, de son côté, était parfaitement informé des manœuvres et du vote de cette loi. Il aurait, selon Jean-Pierre Tuquoi, attendu une réaction de l’Élysée... en vain ! puisqu’elle ne viendra qu’un an plus tard. Alors, le 6 mai 2005 à Sétif, sans faire explicitement référence à la loi de février, il dégaine, tonne et lance ce que l’auteur qualifie de “croisade anti-française”. À Sétif ! là-même où, le 27 février, l’ambassadeur Hubert Colin de Verdière, tout à sa mission de faire aboutir les négociations entamées depuis deux ans en vue de la signature d’un traité d’amitié, déclarait, à propos des massacres de 1945, qu’ils avaient été une “tragédie inexcusable”. “Sans le vote de la loi du 23 février, il est probable qu’une mécanique vertueuse allait s’enclencher qui, si elle était portée par une volonté politique, allait aboutir à la signature à Alger d’un traite d’amitié entre la France et l’Algérie”, écrit Jean- Pierre Tuquoi. Il n’en fut rien, du fait de l’activisme d’une minorité agissante, nostalgique de l’Algérie de papa ou hostile à tout rapprochement avec l’ancienne possession coloniale. Par la suite, le président Bouteflika ne s’est pas gêné pour surenchérir (en avril puis en juillet 2006 où, dans le cadre d’un colloque tenu à Alger, il exigea de l’ancienne puissance colonisatrice des “excuses publiques”). Que le président algérien, tout à son référendum sur la réconciliation nationale, instrumentalise cette polémique à
des fins de politique intérieure, cela n’étonne pas. Du point de vue français, cela ne change rien à l’affaire. La politique algérienne de Chirac se solde par un échec : le traité d’amitié n’a jamais été signé entre Alger et Paris et la question des excuses de la France à l’Algérie constitue une autre pomme de discorde, à tout le moins un élément supplémentaire de confusion entre les mains de ceux qui ne voient pas d’un bon œil le rapprochement entre Alger et Paris. Le président Sarkozy ne veut pas de repentance ni de traité d’amitié entre les deux pays. Pragmatique, il en appelait, lors de son premier voyage éclair en Algérie, à construire l’avenir. Sur le fond, loin des caméras, loin des états-majors et autres palais présidentiels, le couple franco- algérien n’a rien d’“infernal”. Il se construit et se renforce chaque jour, dans l’intimité des relations personnelles ou dans les succès de démarches collectives (associative, entrepreneuriale). La France reste “le premier investisseur étranger hors hydrocarbures”, rappelle l’auteur. Côté mémoire, s’il y a nécessité d’un réexamen de la colonisation française en Algérie, l’émotion – ici – et l’hagiographie nationaliste – là-bas – ne doivent pas se substituer au travail de l’historien, au risque d’infantiliser les peuples et de favoriser “une mémoire contestée” au détriment d’une “mémoire partagée” entre Paris et Alger. Côté politique, Jean-Pierre Tuquoi invite à la rédaction d’un traité d’amitié non seulement entre la France et l’Algérie mais avec l’ensemble des anciennes colonies. Pour l’auteur, un texte de référence existe, celui qui a été signé en avril 1998 pour la Nouvelle-Calédonie par les indépendantistes, les non-indépendantistes et l’État français.