Les toilettes du pape
Enrique Fernandez & César Charlone
Les habitants de Melo, petite ville uruguayenne proche de la frontière avec le Brésil, ne roulent pas sur l’or. Agricoles, industrielles ou commerciales, leurs ressources seraient indigentes, sans l’ingéniosité et la débrouillardise d’une partie d’entre eux. Ils ont su mettre à profit une situation géographique scabreuse, sans ligne de démarcation très officielle, pour en faire un lieu de passage difficile à contrôler. Le parcours accidenté et broussailleux entre Mélo (Uruguay) et Aguacen (Brésil) est devenu “el camino de los quileros”, la route des contrebandiers. Profitant de la mansuétude des douaniers, ou de leur flemme ou de leur corruption, ils se transforment en “bagayéros”, passeurs bagagistes à cause de leurs vélos et de leurs valises surchargé (cigarettes, alcools, appareils ménagers, électronique...).Le butin est souvent incertain et les équipées peuvent tourner au fiasco quand les gardiens de l’ordre perdent patience ou que les moyens de transport exténués rendent l’âme sur les chemins de traverse. Et puis voilà qu’en cet an de grâce 1988, la fortune et la providence pourraient sourire aux audacieux d’une manière beaucoup plus œcuménique. Dans un grand tintamarre médiatique, on annonce le passage de Sa Sainteté le pape Jean-Paul II. En chair et en os, en chère et en or, il ferait au cours de sa tournée Sud-américaine, étape à Mélo et y serait prodigue de sermons et de bénédictions. La petite bourgade voit poindre la célébrité et l’opulence. La TV entretient le délire en prévoyant 50 000 pèlerins brésiliens autocarisés et pleins aux as et prêts à se jeter sur toutes les pacotilles et autres amulettes et à satisfaire, sans regarder à la dépense, leur soif, leur faim et pourquoi pas leurs besoins naturels. Chacun s’improvise dans le commerce des nourritures et des boissons, mais c’est de loin Béto, un moustachu jovial, toujours en quête d’une combine capable de lui faire oublier son triste sort (et ses responsabilités de père, de mari ou d’adulte) qui a l’idée la plus insolite et forcément la plus lucrative : mettre, moyennant finances, des commodités à la disposition de toute cette foule repue. A grands renforts d’emprunts et d’achats clandestins,les toilettes du pape seront un modèle de confort et d’hygiène : portes, sièges, miroirs et papiers seront dignes des palaces. Aidé de son compère Valvulina, Béto n’a pas lésiné sur les préparatifs et les investissements. Hélas, à peine descendu de sa “papamobile” le Saint père y remonte et s’éloigne laissant le peuple de Mélo qui n’avait sans doute pas lu la fable de Perrette et de son pot au lait face à sa déconvenue et à des tonnes de nourriture qui se gâtent et des litres de boissons qui tiédissent. Personne n’a éprouvé le besoin d’utiliser les toilettes. Cette chronique pleine de tendresse, d’humour et d’humilité, rappelle le burlesque social italien de la grande époque. Elle nous émeut et nous réjouit en même temps. Le film, qui fait beaucoup appel à des acteurs amateurs, confirme des débuts plus qu’honorables pour un cinéma uruguayen qui essaye de se frayer une place dans la voie tracée dans les grands voisins argentins, brésiliens
ou mexicains.