Les Harkis dans la colonisation et ses suites
de Fatima Besnaci-Lancou & Gilles Manceron
“L’un des crimes d’État qui salissent l’histoire contemporaine de notre pays est dévoilé ici sur un ton qui n’est plus celui de l’hypocrisie cauteleuse, ni de la polémique échevelée, mais d’une implacable sérénité.” Jean Lacouture signe ainsi la préface de ce nouvel ouvrage sur l’histoire des harkis, supplétifs de l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Le crime d’État dont parle le journaliste – qui fut l’un des seuls à s’en étonner dans un article du Monde en 1962(1) – est l’abandon par la France, une fois le conflit perdu, des Algériens qu’elle avait enrôlés pour sa “sale guerre”. Un double abandon. Le premier fut l’interdiction aux officiers français de rapatrier les Nord-Africains qu’ils avaient eus sous leurs ordres. Certains militaires désobéirent et des harkis et leur famille (environ 100 000 personnes) purent fuir vers la France. Le deuxième abandon eu lieu dans l’Hexagone. Les harkis furent parqués dans des camps militaires, isolés du reste de la population, obligés de demander leur réintégration dans la nationalité française, puis oubliés. Plusieurs fictions récentes, signées de la génération suivante, toujours appelée “harki”, décrivent les conditions de vie dans les baraquements insalubres des camps où vécurent 20 % des harkis. On connaissait aussi la révolte des enfants – les pneus brûlés, les grèves de la faim – qui éclata dès 1975, contre la relégation, l’humiliation et les suicides des jeunes. On connaissait moins l’histoire des harkis dans la guerre : les motifs de leur enrôlement dans l’armée française dans le contexte de la colonisation contemporaine de notre pays est dévoilé ici sur un ton qui n’est plus celui de l’hypocrisie cauteleuse, ni de la polémique échevelée, mais d’une implacable sérénité.” Jean Lacouture signe ainsi la préface de ce nouvel ouvrage sur l’histoire des harkis, supplétifs de l’armée française pendant la guerre d’Algérie. Le crime d’État dont parle le journaliste – qui fut l’un des seuls à s’en étonner dans un article du Monde en 1962(1) – est l’abandon par la France, une fois le conflit perdu, des Algériens qu’elle avait enrôlés pour sa “sale guerre”. Un double abandon. Le premier fut l’interdiction aux officiers français de rapatrier les Nord-Africains qu’ils avaient eus sous leurs ordres. Certains militaires désobéirent et des harkis et leur famille (environ 100 000 personnes) purent fuir vers la France. Le deuxième abandon eu lieu dans l’Hexagone. Les harkis furent parqués dans des camps militaires, isolés du reste de la population, obligés de demander leur réintégration dans la nationalité française, puis oubliés. Plusieurs fictions récentes, signées de la génération suivante, toujours appelée “harki”, décrivent les conditions de vie dans les baraquements insalubres des camps où vécurent 20 % des harkis. On connaissait aussi la révolte des enfants – les pneus brûlés, les grèves de la faim – qui éclata dès 1975, contre la relégation, l’humiliation et les suicides des jeunes. On connaissait moins l’histoire des harkis dans la guerre : les motifs de leur enrôlement dans l’armée française dans le contexte de la colonisation et la grande diversité des missions qui leur furent confiées. Les Harkis dans la colonisation et ses suites aborde tous ces thèmes grâce à la contribution de chercheurs, intégrant le point de vue d’anciens officiers français ou de responsables du FLN, de travailleurs sociaux et de nombreux harkis, le tout enrichi par de nombreuses photos. Dirigé par Fatima Besnaci- Lancou, présidente de Harkis et droits de l’homme(2), et par l’historien Gilles Manceron, l’ouvrage reprend les actes du colloque 1956-2006, cinquante ans, les harkis dans l’histoire de la colonisation et ses suites, organisé à Paris il y a deux ans. Dans l’introduction, les auteurs insistent sur la multiplicité des itinéraires des harkis et l’absence de choix politique de ces hommes, pourtant comparés à des “collabos” par le président algérien, en 2000. C’est l’historien Mohamed Harbi, ancien responsable du FLN, qui rejette, ici, cette comparaison : “Si l’on peut dire que, pour un certain nombre d’aventuriers ou de notables, l’engagement dans la guerre du côté de la France a été un choix, ce sont finalement des cas individuels. Pour ceux qu’on a appelés les harkis, cela n’a pas du tout été un choix.” Il ajoute : “Les harkis sont devenus une communauté en France et non pas pendant la guerre d’Algérie.” Et c’est bien cela, le problème des harkis : avoir été érigés comme symbole par les partisans de l’Algérie française et stigmatisés comme traîtres par Alger. Ce livre annonce, dans son introduction, vouloir en finir avec toutes “les légendes qui sévissent” sur les harkis. Les articles se basent sur les travaux scientifiques d’historiens, de sociologues ou de géographes. Ainsi Abderahmen Moumen présente-t-il le camp de transit de Saint-Maurice-l’Ardoise, devenu, comme d’autres, cité d’accueil pour les harkis vieillissants et leurs enfants. François-Xavier Hautreux détaille les motifs multiples qui poussèrent des dizaines de milliers d’Algériens à choisir l’armée française, dans son article sur “les supplétifs pendant la guerre d’Algérie”. Giulia Fabbiano évoque le cas des “harkis du Bachaga Boualam” enrôlés dans l’armée par fidélité à leur clan. Les harkas, “mouvements”, ont compté entre 100 à 150 000 hommes, mais il est difficile de donner un chiffre exact, selon les auteurs. L’armée utilisait plusieurs groupes de supplétifs et le terme “harki” désigna rapidement, dans l’opinion publique, tout Algérien enrôlé dans l’armée française. Dans son article sur les assassinats de harkis en 1962, Sylvie Thénault s’interroge justement sur l’existence d’un groupe homogène : “Massacre des harkis ou massacres de harkis ? Qu’en sait- on ?”, et elle récuse, tout comme Gilles Manceron, le terme de “génocide” utilisé par certaines associations de harkis – même s’ils accusent violemment la France d’être responsable de ces morts par leur abandon après la guerre. En faisant entendre différents points de vue comme celui de l’ancien ministre algérien des Droits de l’homme, Ali Haroun, les auteurs ne craignent pas de fâcher. Ils ne taisent pas non plus l’horreur de la torture pratiquée par certains harkis mais renvoient sans cesse à l’étude historique qui replace ces drames dans le contexte d’un pays colonisé pendant 130 ans par la France, quand la guerre éclate. “Puisse [ce livre], en faisant reculer les idées toute faites, contribuer à une connaissance historique sereine et apaisée de ces épisodes de l’histoire. Et aider à ce que l’injustice et le malheur cessent de peser, en France comme en Algérie, sur un certain nombre d’anciens supplétifs et leurs enfants.” : c’est la conclusion des auteurs de ce livre, que la Ligue de l’enseignement recommande par ailleurs aux professeurs.