La Caraïbe : espace migratoire aux portes de l’Europe ?
L’espace caribéen a longtemps échappé aux regards croisés des historiens de la traite, de l’esclavage, de la colonisation et de l’immigration qui ont travaillé séparément sur leur période respective. Dans ce dossier qui parcourt sur plusieurs siècles l’histoire des circulations aux Antilles, il apparaît que des synergies fortes entre ces phénomènes historiques ont suscité des mouvements intenses de personnes souvent considérées par les entreprises ou les institutions comme des « réservoirs humains » pouvant répondre ponctuellement ou plus durablement aux besoins toujours accrus de l’exploitation économique des îles.
Ces migrations ne concernent pas seulement les flux entre la métropole et les Antilles : à partir de l’abolition de l’esclavage, des populations originaires d’autres territoires d’outre mer (principalement de l’Inde et de la Chine) ont été massivement « engagées » en raison d’intérêts stratégiques liées à l’économie coloniale. A partir de travaux pluridisciplinaires, ce dossier permet de mieux comprendre comment la dynamique migratoire propre à l’espace caribéen a favorisé un mode de peuplement original et pluriculturel. En cette année européenne du dialogue interculturel, la Caraïbe nous dévoile des territoires périphériques où les migrations ont engendré un métissage culturel intense : la créolisation des apports culturels successifs s’affirme à présent sous la bannière de la « caribéanité ».
Le rôle de l’Etat français est également primordial dans la mise en place, pendant les Trente Glorieuses, d’une politique active de recrutement vers la métropole. Des milliers de personnes en provenance de la Caraïbe ont ainsi fourni aux services publics (transports, hôpitaux, administrations etc.) des agents sur des postes de travail qui ne s’avéraient plus attractifs pour les populations métropolitaines. Du fait de son statut juridique, cette migration de « domiens » dotés de la citoyenneté française mais considérés socialement, économiquement et culturellement comme des « immigrés », est plus rarement abordée par l’histoire de l’immigration en France. La question de la faible présence des « minorités visibles » dans les médias relance indirectement le débat sur cette immigration dans l’hexagone.
Aujourd’hui, la crise économique affecte de manière différentielle les îles et provoque des flux migratoires toujours croissants, notamment vers les pôles de développement du tourisme insulaire. Du fait d’une situation « ultrapériphérique », l’Union européenne tarde à mettre en place une politique d’immigration harmonisée dans les Antilles qui ne font pas partie intégrante de l’espace Schengen. C’est pourquoi la Caraïbe constitue pour de nombreuses personnes fuyant la pauvreté une porte d’entrée providentielle vers l’espace migratoire européen.