Des poupées et des anges
Film français de Nora Hamdi
Le cinéma français mérite de moins en moins les réprimandes des promoteurs de la diversité culturelle. Par exemple, les jeunes femmes et les jeunes filles d’origine maghrébine étaient, il n’y a guère, rares ou absentes sur les écrans, à la notable exception de Nozha Khouadra, ou encore de Rachida Brakni. Aujourd’hui, leur présence explose littéralement et la réussite époustouflante de Hafsia Herzi(1) est loin d’être une exception. De jeunes comédiennes au tempérament affirmé et à la plastique superbe se voient offrir des rôles prépondérants dans nombre de films sociosentimentaux, inspirés de leur situation au sein de la famille ou de la cité – difficulté d’émancipation, modèle contraignant du pays d’origine, autoritarisme des pères ou des frères, conformisme des mères, pression de l’opinion... Mais, bien au-delà, quand les scénarios s’élaborent loin des clichés et des astreintes communautaires.Ainsi du premier long-métrage de Nora Hamdi, adapté de son roman éponyme et en partie autobiographique. Le film fait la part belle à Lya (Leïla Bekhti) et Sirine (Karina Testa), deux sœurettes de banlieue, dont les tempéraments opposés, les expériences divergentes, dans un climat d’authenticité qui s’écarte des conventions, notamment familiales, entraînent des conséquences singulières, y compris dans les moments où elles ont l’air de s’y plier. Ni poupées, ni anges, ni putes, ni soumises, ni des révoltées en rupture, ni des opprimées victimisées à vie. D’ailleurs la troisième petite sœur, qui parle comme un livre, constate qu’on n’est pas pauvre quand on a l’eau, le gaz, l’électricité, la télé, un papa qui travaille, une maman qui cuisine... La vie fait même d’autres petits cadeaux, comme ces poupées Barbie auxquelles Sirine rêve de ressembler et que Lya éventre pour voir comment elles fonctionnent. C’est toute la différence, qui ne fera que s’accentuer autour de la figure ambiguë du père, bloc colérique et violent quand il verra son autorité lui échapper. Quand Sirine, surtout, sa préférée, sortira de son affectueuse chrysalide enfantine. Paradoxalement, c’est à travers ce personnage – et dans son interprétation à contre-emploi par Sami Naceri, habituel costaud de films d’action – que Nora Hamdi s’écarte le plus des stéréotypes. On sait que des succès trop faciles ont poussé l’acteur aux pires excès. Il n’a pas seulement côtoyé les gouffres au volant d’un Taxi. La malchance le rattrapa au virage. Il venait sur le tournage en liberté conditionnelle. C’était une sorte de rachat où la réalité dépassait la fiction. D’où ce mélange de fragilité et de brutalité. L’amour dévoyé en jalousie, en colère, en impuissance. Cette performance d’acteur si particulière n’enlève bien entendu rien à l’éclat de la présence de Leïla Bekhti – que l’on peut aussi voir dans Choisir d’aimer, de Rachid Hami – ou de Karina Testa – déjà vue dans Il était une fois dans l’oued, de Djamel Bensalah. Toutes deux bagarrent avec leurs propres armes pour ne pas entrer dans le moule que leur façonnent la famille, la cité... et le cinéma. Sirine, naïve et ambitieuse, croisera la gloire et la déchéance et finira par rencontrer l’amour – sous les traits de Samuel Le Bihan ! Lya, porte-parole de l’auteur, écrit dans son journal les vérités toujours bonnes à dire, pratique les sports de combat – le taekwondo –, se moque de cette foutue sacralisation de la virginité chez les filles, ou alors – pourquoi pas ? –, chez les garçons... puisque, pour son petit amoureux, c’est la première fois. Pas de poupées ni d’anges, encore moins de petites filles modèles, dans ce film qui ne manque pas d’air.