Chronique cinéma

Gomorra

Film italien de Matteo Garrone (2008)

Gomorra s’inspire d’une enquête romancée sur les mafias napolitaines – publiée en 2007 chez Gallimard. Dès sa parution en Italie, l’œuvre suscita des réactions violentes de la part du système et des individus mis en cause. L’auteur, Roberto Saviano, subit toutes sortes de pressions, d’intimidations, de menaces et de persécutions. Il fut poursuivi par une sorte de fatwa mafieuse qui lui valut une protection policière permanente en Italie et le conduisit à demander l’asile politique en France. L’adaptation cinématographique de Matteo Garrone, dans la plus pure tradition du pamphlet politico-social italien, obtint le prix du jury au festival de Cannes 2008. Le film accentua la force de la dénonciation et renforça le succès du livre. Il suffit que la caméra, avec une précision crue et sans fioritures, nous fasse assister à quelques jours dans la vie d’un faubourg napolitain ou de la Campanie environnante – Scampia, Castel Volturno... – et aux tribulations criminelles de quelques protagonistes pour qu’on perçoive, de la façon la plus concrète et à plus grande échelle, l’état de déréliction de toute une région et de l’ensemble de sa population. Acteurs et témoins attestent – sans proclamation – des 10 000 morts en trente ans, des 150 milliards d’euros de chiffre d’affaires – obtenus au gré des rackets, détournements, hold-up... Ils dévoilent les mécanismes d’une société totalement gangrenée et réglementée par la terreur. Il y a là Totò – joué par Salvatore Abruzzese –, chétif éphèbe qui rêve de grand banditisme en faisant, pour un peu de monnaie, les courses pour ses voisines ; Marco et Ciro – Marco Macor et Ciro Petrone –, simples d’esprit qui se prennent pour Scarface et finiront dans un bain de sang ; Don Pasquale, le vieux tailleur intègre – Salvatore Cantalupo – qui vend son âme – et ses modèles – aux ateliers clandestins chinois ; Franco et Roberto – Toni Servillo et Carmine Paternoster –, l’étudiant et le parrain, associés dans le traitement des déchets toxiques ; Don Ciro – Gianfelice Imparato –, le notable qui redistribue les profits aux plus méritants et aux membres du clan dans le besoin. Le film atteint une sorte de magnificence dans l’horreur pour montrer l’ignominie – excusez l’oxymore ! Ce ne sont pas forcément des tueries jusqu’à l’extinction des feux et l’extermination des belligérants. Ce pourrait être un cageot de pommes contaminées qu’une pauvre femme offre au mépris de ses maîtres et qu’ils jettent. Ou encore cette noria de camions chargés de fûts à enfouir, conduits par des gamins pour casser la grève des chauffeurs, insouciants comme s’ils étaient sur des auto- tamponneuses. Et la beauté des images de ce film permet de marquer plus profondément encore les consciences...