Premières Heures au paradis
de Hafid Aggoune, Denoël, 2008, 173 pages, 15 euros
Voici donc le troisième roman de ce jeune auteur stéphanois de trente-cinq ans. Après le succès de ses deux premiers ouvrages – Les Avenirs, prix Fénelon en 2004, puis Quelle nuit sommes- nous ?, 2005, parus tous deux chez Farrago – et tout le bien qu’on en a dit dans ces colonnes, cette nouveauté était attendue avec de la gourmandise – et même une certaine impatience... Malheureusement, Premières Heures au paradis n’est pas du même tonneau que ses prédécesseurs. Le récit d’abord, kaléidoscopique, mêle histoire familiale, vie de couple du narrateur, expérience d’un tournage et quête mémorielle... il n’est pas certain que l’auteur ait su en maîtriser l’exposition narrative. Ajoutons la complexité due à l’abondance des thèmes et des incises – le droit à l’athéisme, l’imposture du personnel politique, la fonction du livre et de la lecture... –, traités parfois de manière trop démonstrative – sur les discriminations ou sur le spectacle qu’offriraient les cercles littéraires. Enfin, l’usage de formules déconcertantes : “Avant de te connaître, pour moi, Dieu n’était qu’un mot écrit avec le sang des innocents et des faibles.” Il y en a d’autres de cette veine, notamment page 80, quand le narrateur loue les qualités d’écriture de celle qui partage sa vie... Théophile Cannan est un acteur dont la compagne, Lucille Eden, romancière à succès, attend un enfant. La paternité lui faisant peur, le jeune homme “s’esbigne”... “Je t’ai laissée pour me trouver. Ton écriture te porte chaque jour, mais moi, qui me porte ?” Il faut dire que notre héros semble lesté de valises lourdes et encombrantes. Laissons de côté cette jalousie, puis ce complexe d’infériorité, nés avec les succès rencontrés par sa compagne, lui qui n’est encore qu’un modeste acteur inconnu, accumulant les échecs, Mais voilà, le “raté” est remarqué par David Lynch himself et on peut penser que son ego va reprendre quelques couleurs... Cela ne manquera pas ! Mais là n’est pas le plus important. Ce qui compte, c’est la disparition de sa mère, sept jours après sa naissance ; le fantôme maternel hante le narrateur comme les silences de son père et le cadavre de son grand-père. “Lorsque les non-dits s’insinuent en nous, allant jusqu’à constituer l’essence de notre façon de vivre, une honte tenace accompagne chaque larme que l’on verse.” Des non-dits emberlificotés dans des origines judéo-berbères et le drame de la déportation. Le comédien va (re)naître à la vie grâce au réalisateur nord-américain, par ailleurs amateur de tongs, de caïpirinha, et lecteur d’Hubert Selby Junior et de Carson McCullers. On retrouve ici les thèmes qui ont fait le succès et la force de Hafid Aggoune : retour sur l’enfance, les récits de famille et surtout cet élan vital nécessaire pour recoller les morceaux, se libérer d’une histoire plurigénérationnelle sans pour autant s’en abstraire : “J’étais vivant et les morts de ma vie ne me faisaient plus porter le poids de leur faute. Il ne restait que la pureté de leur innocence, cette part que rien ne réussit à salir et qui représente notre seule chance d’immortalité.” Le lecteur comprend-il les raisons de sa fuite ? Quête de soi ou simple égoïsme, reflet de l’irresponsabilité et de l’individualisme modernes ? Bien sûr, cela est trop trivial. Il faut donc admettre le souci de soi et le parcours initiatique. Quid, alors, du bonheur ? “Une paix entre nos démons et nos désirs.” C’est cette paix que va rechercher le narrateur. Une quête pas toujours compréhensible. En tout cas pas clairement comprise.