La revue retrouve le terrain familier qui l’a vue naître il y a plus d’un demi-siècle. Dans le Nord de Paris, cette publication servit d’abord de support d’information et de réflexion à l’association Amana qui accueillait des travailleurs algériens, avant de devenir une revue intellectuelle couvrant la diversité des phénomènes migratoires.
Le secteur de l’action sociale a bien changé depuis les années cinquante et le partenariat renouvelé avec le laboratoire Lise du Cnam permet de s’interroger sur ses mutations récentes. Ce dossier analyse la manière dont ce milieu professionnel réagit face aux enjeux migratoires. Le secteur du travail social serait tout sauf “colour blind” ? L’analyse des acteurs recrutés pour accueillir et accompagner les publics d’origine étrangère – leurs diplômes, leur formation, leur trajectoire professionnelle – souligne une ethnicisation croissante des profils pouvant conduire à une déprofessionnalisation des carrières. La pluralité culturelle des nouveaux intervenants sociaux est rarement appréhendée comme un atout supplémentaire mais comme un critère de proximité culturelle, voire de légitimité auprès des populations d’origine étrangère. L’embauche de ces travailleurs sociaux s’appuie sur des prétendues “compétences ethniques”, jamais vraiment explicitées, mais toujours présentes dans les représentations professionnelles qui leur sont attribuées. L’ambivalence de leur positionnement entre l’institution et les usagers s’accentue au fur et à mesure que les injonctions de médiation culturelle et de “pacification sociale” se doublent d’un tiraillement de plus en plus fort entre éthique professionnelle et respect du droit. Le secteur de l’action sociale n’est plus à l’abri de comportements où sexisme, racisme et discrimination se déploient contrairement aux valeurs prônées par la profession.
On assiste ainsi à une segmentation du vaste marché du travail social où les postes les plus légitimes restent réservés aux candidats diplômés alors que se développent des sous-secteurs de l’intervention sociale – en charge des “grands ensembles” – où les pénuries fréquentes en matière de recrutement favorisent certes l’ouverture des postes à des jeunes d’origine étrangère moins diplômés, mais au prix d’une précarisation des carrières et de leur enfermement sur des territoires relégués. Comment concilier dans un même milieu professionnel un secteur “classique” valorisé et un secteur “parallèle” où domine une instrumentalisation des travailleurs sociaux ?
En tant qu’usagers, les recherches publiées dans ce dossier montrent que les migrants ou les populations d’origine étrangère se plaignent des représentations stéréotypées et des discriminations à leur égard. Les travailleurs sociaux se trouvent confrontés de plus en plus à de nouveaux publics – les sans-papiers, les jeunes mineurs étrangers, les femmes migrantes – dont ils ont du mal à identifier les situations juridiques et dont ils ne comprennent plus les demandes sociales, souvent complexes ou contradictoires, ni les codes culturels. De nouvelles frontières du travail social se dessinent avec ces catégories d’usagers, confrontant de fait les travailleurs sociaux à une “altérité
indépassable”.