Chronique cinéma

Le monde est à toi

Film, France, 2018, de Romain Gavras

Journaliste.

Présenté cette année à la quinzaine des réalisateurs à Cannes, Le monde est à toi de Romain Gavras est un savoureux compromis entre thriller et comédie, film de gangsters et pochade de voyous.

François (en réalité Farès), dealer de banlieue, le 93 en l’occurrence, décide de se ranger des voitures. Il nourrit le projet de se muer en distributeur officiel des bâtons glacés « Mr Freeze » au Maghreb. Malheureusement, sa mère, Danny (Isabelle Adjani), kleptomane compulsive et dirigiste au possible a dilapidé son pécule. Aux abois, François (incroyable Karim Leklou) s’acoquine avec Poutine (Sofiane Khammès, très bon lui aussi), petite frappe aux allures de faux dur, qui lui propose de convoyer de la drogue en Espagne. Il est accompagné d’Henry (Vincent Cassel dans un contre-emploi) et de sa petite amie Lamya (délicieuse Oulaya Amamra, révélée dans Divines de Houda Benyamina, caméra d’or 2016). Philippe Katerine et François Damiens, pour leur part, campent de brillants seconds rôles. Dès lors, les situations burlesques se succèdent, tant les protagonistes de l’intrigue forment en fait une bande de pieds nickelés aussi déjantés que maladroits. On garde en mémoire une scène culte. Celle où la mère, à laquelle Isabelle Adjani prête ses traits, se déguise en jilbab (longue robe islamique) pour voler des vêtements dans une grande surface où elle se livre à un duo iconoclaste avec son fils, le brillant Karim Leklou.

Ce dernier a été à Cannes au centre de toutes les attentions avec cette parodie de gangsters et son interprétation dans le film Joueurs de Marie Monge au côté de son ami Tahar Rahim, rencontré sur Un prophète de Jacques Audiard en 2009. Mais l’affirmation de son talent précoce se révèlera en 2015 dans Coup de chaud de Raphaël Jacoulot, un drame dans lequel il incarne avec brio un handicapé mental persécuté par son village et qui lui vaudra d’être pré-nommé pour le César du meilleur espoir. Dans Le monde est à toi… le monde est à lui comme comédien dont les interprétations frôlent la perfection tant il épouse avec force la dimension psychologique de ses personnages.

Avec ses co-auteurs Karim Boukercha et Noé Debré, Romain Gavras, dont Le monde est à toi est le second long métrage, a compilé plusieurs histoires recueillies lors de conversations avec un ami avocat et un ami journaliste spécialiste du milieu. Pour nourrir le scénario, les auteurs ont longtemps fréquenté les prétoires pour puiser aux sources du réel, plutôt que d’emprunter à l’imaginaire proprement dit. Et le résultat est une brillante réussite d’autant que la direction d’acteurs marie avec soin et subtilité professionnels et non professionnels, ce qui n’est pas toujours un exercice aisé. Ce qui est pointé également avec habileté, ce sont les rapports mère-fils. " Dans la génération de François, déclare Romain Gavras, qui est aussi la mienne, les garçons sont des fils à maman, du coup, ajoute-t-il, même les méchants, y compris Poutine le plus inquiétant d’entre eux, possèdent leur part de fragilité. "

Ce qui les rend autant attachants que dangereux… La tonalité du film lorgne vers certaines anciennes comédies italiennes (Le pigeon ou Affreux sales et méchants) " qui établissaient, souligne Romain Gavras, une sorte de cartographie de leur époque, par petites touches, sans jamais appuyer ". In fine, Le monde est à toi balance entre noirceur et légèreté en maintenant un équilibre constant entre les genres thriller et comédie.