Tassadit Imache, Fini d’écrire !
Marseille, Hors d’atteinte, 2020, 190 pages, 16 euros
Tassadit Imache appartient à cette génération d’écrivains français qui, dès les années 1980, ont élargi le roman national, inscrit l’histoire de France dans un récit monde, à tout le moins franco-algérien. Elle raconte cette histoire par ses marges, les « fantômes » (Michaël Ferrier) de ce pays aux Lumières si violentes qu’elles écrasent les contours, les formes et rejettent hors du cadre l’Autre ou le marginal.
Avec Azouz Begag, Mehdi Charef, Ahmed Kalouaz ou Akli Tadjer, Tassadit Imache est de cette génération pionnière. Pas nécessaire pour autant de les enfermer dans le même panier. « Les écrivains ne peuvent transiger avec leur singularité » rappelle-t-elle. Pourtant, quand paraît, en 1989, son premier roman, Une Fille sans histoire, le livre se retrouve, chez les libraires, dans les rayons Afrique du Nord ou Proche-Orient. « Déplacée, c’est ce que je ressens aussitôt. Mise à l’écart ? » Physiquement inclassable, Tassadit Imache a mis le poids de ses nom et prénom sur la couverture. « Le nom de mon père est plus authentique que la littérature. […] personne ne sait exactement où est située sa valeur. » Pas de pseudo, ni de masque. Les autres s’en sont chargés. Le nom (aussi) emprisonne. Exclut. « Reconnaissons que, chez nous, on est presque moins regardant sur l’attribution de la nationalité […] que sur la délivrance du label “Culture française”. N’importe qui ne saurait transporter ses quartiers personnels dans l’universalité… » écrit-elle. Cela continuera avec Faïza Guène et ces auteurs qui, en 2007, dans le Manifeste « Qui fait la France ? » dénoncent encore la « mise à l’écart ». Et Tassadit Imache de dire l’essentiel : « Ainsi, poser sans arrêt la question “d’où viens-tu” à celui qui s’efforce d’avancer en personne libre, faire suivre cette question promptement et sans répit de “Et où vas-tu ?”, n’est-ce pas prétendre à la fois ramener à la maison et lui voler le sens de sa destination ? »
La France républicaine n’en a pas fini avec son passé colonial : « Peu de personnes ont le courage de penser la geste coloniale. Autant aborder l’amour sexuel du violeur ! Chérie je t’aime, chérie je t’adore. Tout ce qui est coagulé derrière les yeux des gens d’ici et d’autrefois. Il faudra attendre qu’ils meurent » tranche Imache.
Fini d’écrire ! est constitué de deux textes. Le premier, paru en 2001, n’a perdu ni en acuité ni en actualité. Elle y creuse ces questions de réception et de place dans le champ littéraire national, l’enfermement dans la catégorie écrivain de l’immigration ou des banlieues : « Réduite et exhibée, toute de béton brut », ce « côté obscur de l’idéal républicain ». Elle parle de son écriture, de son refus de verser dans l’exotisme ou l’ethnographique. On ne la fera pas « rentrer », revenir en arrière ! Pour autant, elle ne forligne pas. Pas de compromis, pas de compromissions. Elle reste fidèle : « Je hais le sentimentalisme qui veut nous enterrer sans texte » et « Il faut trouver cette langue du roman si violente qu’elle empêchera la vitrification du monde ! » Tassadit Imache écrit pour les générations d’après, celles qui portent plusieurs appartenances et autant de fidélités : « On voudrait exiger des héritiers de cette histoire qu’ils renoncent à leur besoin de vérité et que, sans travail de mémoire collectif, nos jeunes, eux, “fassent la part des choses” et donnent au pays un blanc-seing sur leur avenir. Il m’a fallu toute une vie pour accepter de revoir la composition des ombres et de la lumière, vouloir être de cet événement-là, le revendiquer en fondation : l’amour imprévisible. Que nos enfants aient ce legs, au lieu que le sang noir et la bile. Et je suis reconnaissante aux écrivains algériens de cette époque-là d’avoir écrit dans la langue de ma mère pour que je connaisse tous les miens. »
Le second texte porte sur sa mère. Cette figure si peu présente dans la littérature française, ces Françaises qui ont vécu avec des Algériens, en pleine guerre d’Algérie (voir Mélanie Gazsi, Daniel Prévost ou Nina Bouraoui). Longtemps on a pu croire que le père occupait dans l’écriture de Tassadit Imache la première place. On découvre ici une mère à l’origine des engagements, de la verticalité et de l’écriture de cette fille dite « sans histoire ». « C’est moi qui écris, c’est elle l’héroïne du début de l’histoire. »