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Choc des civilisations pour un ascenseur Piazza Vittorio

Personne, dans cet immeuble de la Piazza Vittorio à Rome, ne peut croire qu’Amadéo, si bon, si serviable, qui plus est doué de culture, puisse être un immigré et s’appeler Ahmed. L’identité d’Amedeo-Ahmed – du moins sa perception – tiendrait-elle tout entière dans un prénom ? Pour les habitants de l’immeuble, du moins pour les Italiens pure sucre, il est même impossible qu’Amedéo soit un immigré.

Personne, dans cet immeuble de la Piazza Vittorio à Rome, ne peut croire qu’Amadéo, si bon, si serviable, qui plus est doué de culture, puisse être un immigré et s’appeler Ahmed. L’identité d’Amedeo-Ahmed – du moins sa perception – tiendrait-elle tout entière dans un prénom ? Pour les habitants de l’immeuble, du moins pour les Italiens pure sucre, il est même impossible qu’Amedéo soit un immigré. Un « Arabe » humaniste et raffiné ? Impensable ! La police a beau leur révéler le véritable prénom d’Amedeo, tous restent incrédules. L’identité comme une fiche de police ! Une identité de papier. La bêtise plus que l’ignorance nourrit le rejet de l’autre. Mais voilà, Amedeo-Ahmed a disparu. Pour le commissaire Bettarini, cela en fait un coupable : le corps de Lorenzo Manfredini, surnommé « Le Gladiateur », vient d’être retrouver, proprement trucidé dans l’ascenseur de l’immeuble, objet et symbole de tous les conflits, caisson où se cristallisent les différences sociales, nationales ou culturelles. Chacun y va de son explication. Benedatta, la vieille concierge napolitaine et Elisabetta, la propriétaire inconsolable du chien Valentino qui lui aussi a disparu, se méfient des immigrés. Le racisme ou la xénophobie d’Antonio Marini, universitaire turinois, tient à la grandeur et au raffinement du Nord sur un Sud indistinct et barbare. La xénophobie (et l’identité) de Sandro, le propriétaire romain du bar Dandini, est footbalistique. Stefania, l’épouse d’Amadéo, raconte les cauchemars de son mari et ce mot dont elle ignore le sens crié dans le noir d’une nuit agitée : Bahdja À cette ratatouille italienne se mêlent Parviz, réfugié iranien, Iqbal le bangladeshi, musulman victime des sarcasmes d’Abdellah, le poissonnier algérien, fier, lui, de ses « origines » et de sa langue arabe. Abdellah révélera au lecteur le passé d’Amedeo. Parce qu’elle n’a pas droit d’utiliser l’ascenseur, Maria, sans-papiers péruvienne « doute de son humanité » et Johan, le colocataire hollandais de la victime, prépare un film sur ses voisins à partir justement de l’ascenseur. Chacune des « vérités » énoncées par les habitants de l’immeuble est entrecoupée des « hurlements » d’Amedeo, enregistrements livrés à un magnétophone comme autant d’« avortement de la vérité » . Le livre, riche et subtil, léger aussi est nourri de références littéraires, poétiques et cinématographiques. Les trois enquêtes – qui a tué Lorenzo ? Qui a volé le chien ? Où est passé Amedeo ? – ne sont qu’un prétexte pour interroger le vivre ensemble dans des univers mondialisés et révéler – comme le fît en son temps le marocain Chraïbi - le mirage des identités : « c’est magnifique de pouvoir se défaire des chaînes de l’identité qui nous mènent à la ruine. Et moi qui suis-je ? Qui es-tu. Qui sont-ils ? Ce sont des questions inutiles et stupides » dit Ahmed-Amedeo. Le livre qui a connu un retentissant succès en Italie est en cours d’adaptation cinématographique. Mustapha Harzoune
Amara Lakhous, Choc des civilisations pour un ascenseur Piazza Vittorio, (traduit de l’italien par Elise Gruau), éd. Actes Sud, 2007, 145 pages, 18 €.

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