La tête en mie de pain de Frida Rochocz
Don de Frida Rochocz
Le parcours de Frida Rochocz
Frida Rochocz est née en Argentine d’une famille d’origine espagnol par sa mère et allemande par son père. « Mon père a rencontré ma mère dans un bal, en dansant, et neuf mois après je suis née. J’ai grandi dans la libre-pensée produite par le mélange anarchiste-communiste. J’ai grandi en parlant allemand avec mon père, espagnol avec ma mère et le reste de la famille ».
Elle a huit ans quand son père décède, elle grandit avec sa mère et ses frères aînés. Comme beaucoup d’Argentins dans les années 1970, ces derniers sont très engagés politiquement et subissent une violente répression. L’un d’entre eux est assassiné, l’autre porté disparu. Frida, bien qu’âgée d’à peine 17 ans, est suspectée, par erreur, d’être la compagne d’un chef de parti politique clandestin. Elle est kidnappée par les militaires avec sa mère souffrante et son frère atteint de leucémie. La famille est relâchée quelques jours après, mais la mère de Frida l’exhorte à quitter le pays.
"Ma mère m’a dit: « il faut que tu partes ». Malgré tout, j’avais des caprices typiques d’une jeune fille de 17 ans, et j’ai voulu rejoindre mon amoureux, qui était en Hollande. Comme lui, j’ai voulu voyager en bateau cargo. Il a donc fallu attendre un cargo en partance pour Rotterdam. J’ai quitté l’Argentine en janvier 1977, la traversée a duré 21 jours, j’ai pu souffler. Si j’étais partie en avion, j’aurais connu un choc beaucoup plus important, ne serait-ce que la température ! De plus, beaucoup de gens se sont faits enlever à l’aéroport, c’était donc un bon choix que le bateau".
Frida Rochocz arrive à Amsterdam à la fin du mois de février 1977. "Je me suis débrouillée seule, je n’ai jamais demandé l’asile politique, j’ai compté sur l’aide d’amis de l’école allemande. Certains m’ont dit « Tu dois venir en Allemagne, ton père était allemand, tu peux demander la nationalité". Elle se rend à Berlin et parvient à retrouver les documents administratifs concernant sa famille. Au bout de deux ans, non sans difficultés, elle obtient la nationalité allemande. Peu après, elle s’établit à Paris, où elle a trouvé du travail.
Frida Rochocz retourne pour la première fois en Argentine en 1987, quatre ans après la fin de la dictature. Elle n’y a plus de famille, mais y retourne régulièrement voir des amis.
Témoigner pour les disparus
Les assassinats, les enlèvements et autres mesures de répression criminelles à l’égard des opposants, commis par le pouvoir en Argentine pendant les années 1970, font l’objet d’une intense mobilisation de la société civile depuis les années 1980.
"C’est un mouvement très fort et j’aime beaucoup cela en Argentine. Même si je n’ai plus de famille, mais je partage cette immense douleur, ce traumatisme avec ces personnes, ces survivants, qui continuent à se battre. J’ai passé de nombreuses années sans parler, d’abord car personne ne voulait m’écouter. J’ai pu mettre des mots sur mon histoire par l’échange avec les autres. J’ai mis du temps à comprendre que moi aussi j’étais une disparue, même si j’avais été relâchée. Au quotidien, c’est tout le temps présent. On a de la joie de vivre, mais tous les matins, c’est un travail de se dire «je sors». Beaucoup de mes amis sont des gens qui sont passés par là. Mais j’ai d’autres amis qui, quand je vais les voir s’arrangent pour inviter des gens pour que je parle, car ils ont besoin d’écouter directement un témoignage de ce qui s’est passé. C’est aussi pour cela que j’ai choisi de faire un don au musée".
La tête en mie de pain
Elle lui est offerte par un prisonnier, lors d’une visite à son frère qui ne survivra pas à la prison. Partie d’une pièce d’échecs confectionnée par un prisonnier, ce petit objet est fait de mie de pain, l’un des rares matériaux disponibles en prison.
"Cette petite figure a été dans ma poche pendant pas mal d’années. A la naissance de ma fille, j’ai pu la déposer dans un endroit où je conserve quelques souvenirs. Je prenais racine dans une nouvelle vie. Personne ne savait que j’avais cet objet, c’était mon secret. La raison pour laquelle j’ai pu m’en détacher et la donner au musée, c’est que lors de l’un de mes voyages, j’ai pu retrouver l’homme qui l’avait fabriquée, après de longues années en prison il en été sorti, à l’inverse de mon frère, disparu. Quand je lui ai parlé de cet objet, il ne s’en souvenait pas du tout, il avait vécu tellement de choses ensuite qu’il l’avait oubliée. Cela m’a en quelque sorte autorisée à m’en détacher aussi".
Les parcours des donateurs font l’objet d’entretiens filmés accessibles en ligne. Retrouvez-les sur cette carte :