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Entre les murs

Cannes 2008, le jury, entraîné par son Président Sean Penn, décerne à l’unanimité la Palme d’or, au film de Laurent Cantet Entre les murs. Suit une déferlante d’enthousiasme qui touche l’ensemble de la critique et le public...

Cannes 2008, le jury, entraîné par son Président Sean Penn, décerne à l’unanimité la Palme d’or, au film de Laurent Cantet Entre les murs. Suit une déferlante d’enthousiasme qui touche l’ensemble de la critique et le public, encore très ciblé des séances spéciales. Le succès ne semble pas se démentir avec l’arrivée du film sur tous les écrans. Même si quelques notes discordantes s’intercalent dans le concert de louanges, mettant en exergue des arguments isolés et souvent catégoriels : de la part d’enseignants, de tenants radicaux de l’école républicaine, d’adversaires farouches du métissage…. Pour exprimer un jugement que l’on veut résolument positif et une admiration conforme au plaisir éprouvé à chaque représentation, écartons quelques erreurs qui faussent les perspectives et engendrent les malentendus. Malgré les apparences, le film n’est pas un documentaire : l’année scolaire d’une classe de 4ème en zone sensible ( le collège Françoise Dolto dans le XXème arrondissement de Paris). C’est un travail de fiction et de création, nourri de l’expérience et du récit romancé de François Bégaudeau (Entre les murs Editions Gallimard-2006-). L’auteur, professeur de français, jouant son propre rôle avec une réelle présence et un talent inné pour traduire toutes les ambiguïtés d’une situation complexe. Autant que ses élèves (« vous charriez trop m’sieur !») il pratique le sens de la réplique cinglante, ironique, provocatrice, transformant certains échanges en match (avec Esméralda) ou en combat de coqs (avec Souleymane). La parole, injures, mensonges compris, se substituant à l’action et la faisant rebondir comme dans la scène désormais culte « des pétasses » au conseil de discipline. Le film n’est pas un constat nihiliste de l’état de l’école publique en milieu populaire défavorisé, même si la dramatisation du quotidien peut pousser parfois au pessimisme (refus d’obéissance, autorité bafouée, déchaînement de violences…). Les joutes restent verbales, les formules expéditives, les répliques à l’emporte-pièce pour déstabiliser ou amadouer l’interlocuteur, tel ce bilan désastreux : « - Qu’est-ce que tu as appris ? – Rien » ou le désir maladroit de solidarité du prof’ qui s’égare : « Moi non plus je n’aime pas la France ! ». La mauvaise foi s’invite dans la dialectique. Le film est une leçon de vie où les identités se construisent dans la diversité et pourquoi pas l’adversité, sans être aucunement l’exaltation démagogique d’une école caravansérail où tout serait égal dans la médiocrité. Souleymane est un rebelle au grand cœur, puni d’une exclusion, Wei, un prodige chinois en mal d’assimilation, menacé par l’expulsion de ses parents sans-papiers, le rejet de l’élève adepte du gothique entraîne un plaidoyer pour la différence, le questionnaire « chaud » sur l’homosexualité éclaire chacun sur ses zones d’ombre, sans les forcer à baisser la garde…. Après avoir éliminé tant de faux-semblants, revenons à l’essentiel… Pas plus que La Haine de Matthieu Kassowitz qui fit grincer des dents, n’était un documentaire sur la violence des banlieues, mais une dérive poétique sur leur climat, présentant une réalité décalée comme un faubourg de Duvivier ou de Carné, Entre les murs n’est un « document pour la classe » de 4ème en milieu difficile. Alors on ne comprend pas toujours quelle mouche a piqué certains enseignants qui se sont sentis visés ou définitivement découragés et qui constituent le petit bataillon des protestataires. Bégaudeau et Cantet ont fait œuvre de cinéastes avec une rigueur esthétique sidérante, expurgée de tout superflu, proche à chaque plan du cubisme. Ils ont su capter des interprètes inspirés, recréant avec eux situations et langage. L’essentiel. On ne va pas s’indigner pour quelques propos échangés autour de la machine à café. André Videau
Réalisé par Laurent Cantet Avec François Bégaudeau Film français Genre : comédie dramatique Durée : 2h Année de production : 2008 Date de sortie : 24 septembre 2008 Distribué par Haut et Court