Manif Mutualité Circulaires Marcellin-Fontanet
Jusqu’au début des années 1970, les lois sur l’immigration sont relativement souples, bien qu’encadrées par des accords bilatéraux entre la France et les pays d’émigration. La mise à l’agenda politique d’une nouvelle politique en la matière modifie cet état de fait en cherchant à restreindre la présence immigrée en France. La première mesure est l’adoption en février 1972 des circulaires Marcellin-Fontanet, du nom du ministre de l’Intérieur, Raymond Marcellin, et du ministre du Travail, de l’emploi et de la population, Joseph Fontanet, incarnant le retour à l’ordre après Mai 68. Les enjeux de gestion des populations étrangères, de travail et d’ordre public sont au coeur de ces circulaires, comme en atteste leur élaboration par les deux ministres. Elles subordonnent la délivrance d’une carte de séjour à l’obtention d’un contrat de travail et d’un « logement décent ». Autrement dit, elles mettent fin aux procédures de régularisation quasi automatiques et s’inscrivent dans une démarche de contrôles plus affirmés des flux migratoires par l’État.
Ces circulaires sont également importantes du fait des réactions qu’elles suscitent et de la façon dont elles contribuent à redéfinir la lutte anti-raciste. En effet, si les questions de logement de travail ou d’agressions racistes font partie des préoccupations des mouvements sociaux après 1968, c’est la première fois que la question des papiers et du droit au séjour est portée dans l’espace public.
Les réactions des années 1972 et 1973 contre les circulaires Marcellin-Fontanet sont de divers ordres. La forme la plus visible est la grève de la faim. Utilisées à quelques rares reprises au début des années 1970, des grèves de la faim s’organisent donc dans plusieurs villes, le plus souvent accueillies dans des églises ou des locaux paroissiaux. Le ministre de l’Intérieur invite d’ailleurs les préfets à rencontrer les prêtes qui soutiennent ces grèves afin de les faire cesser. Celles-ci ne sont pas menées uniquement par des immigrés : le 16 mai 1973, 50 travailleurs immigrés et 28 travailleurs français, soutenus par la Confédération française démocratique dutravail (CFDT), commencent en effet un jeûne pour exiger l’abrogation des circulaires, l’obtention d’une carte de travail dès l’embauche et la liberté d’expression et d’association.
L’autre mode d’action contre les circulaires est d’ordre juridique, avec le recours au Conseil d’État déposé par trois travailleurs immigrés. C’est aussi à cette période qu’est créé le Groupe d’information et de soutien des travailleurs immigrés (Gisti) dont les premières publications portent sur les circulaires Marcellin-Fontanet et qui devient rapidement un acteur important de la défense des immigrés sur le terrain juridique.
D’autres formes plus classiques de protestation, comme les manifestations et les meetings, sont également organisées par diverses forces syndicales et politiques de gauche, ces circulaires faisant l’unanimité contre elles de ce côté-là de l’échiquier politique. Cette affiche éditée par l’atelier populaire est exemplaire des formes d’expression militantes de l’époque sur les questions anti-racistes. On y retrouve un appel à l’unité des travailleurs, quelles que soient leur nationalité et leur couleur de peau, qui s’exprime tant par le texte que par l’image, et une liste de revendications portée par des grévistes de la faim contre les circulaires, et leur traduction en arabe. Elle met en lumière la prépondérance de l’immigration maghrébine au début des années 1970, le fait que de nombreux travailleurs arabes ne lisent pas le français, et la volonté des militants français de se lier avec ces travailleurs en traduisant le matériel militant, pratique qu’on trouve dans les journaux et les tracts syndicaux et politiques d’alors.
Vincent Gay, maître de conférences en sociologie, université Paris-Diderot
En savoir plus :
Immigrations, les luttes s'affichent : une sélection d'affiches issues des collections du Musée publié par la revue Hommes & Migrations dans le portfolio de son numéro "1973, l'année intense" (n°1330, juillet-septembre 2020)