À Malika 8 ans
La cité de transit est un dispositif hybride entre le logement ouvrier à encadrement social issu du XIXe siècle et le logement à normes réduits réservés aux « indigènes » en Algérie après la Seconde Guerre mondiale. Ses objectifs sont le (re)logement, l’encadrement et l’assimilation des populations issues des immigrations post-coloniales dans les années 1960 pendant la crise des bidonvilles, et les années 1970 alors que s’affirment les luttes de défense des populations immigrées. Elle est le pendant familial du foyer de travailleurs migrants (FTM) destiné aux travailleurs isolés. Comme dans les FTM, on y trouve des gérants soutenus par des services de surveillance des populations immigrées (le SAT, cf. supra affiche Pierrefitte), souvent issus des cadres coloniaux, avec un fort encadrement policier.
L’affaire soulevée par cette affiche est notamment connue à travers les journaux de l’époque. La famille Yazid est algérienne kabyle et habite dans la cité de transit des Groux construite à Fresnes en 1968. Ce dimanche 24 juin 1973 au matin, vers 10h30, Malika Yazid, 8 ans, qui jouait en bas de l’immeuble, court dans la chambre pour prévenir son frère Idira (14 ans, déjà envoyé en hôpital psychiatrique pour vol de mobylette) que la police le recherche. Des gendarmes entrent alors dans l’appartement. L’un d’eux aurait mis une gifle à Malika, l’emmène dans sa chambre et ferme la porte, alors qu’un autre interroge le père dans la cuisine. Au bout d’un certain temps, le gendarme sort de la chambre suivi de Malika qui s’effondre sur le ventre. Amenée à l’hôpital, elle meurt le jeudi suivant. Alors que les premiers examens médicaux mettent en avant des coups reçus, l’autopsie demandée par l’enquête judiciaire élimine l’argument. Une vive émotion ou une maladie pourraient être à l’origine du décès. Le non-lieu est prononcé en novembre 1976, les gendarmes ne sont pas inquiétés.
Un comité de soutien à la famille se forme pour organiser sa défense. Cette affiche sert d’appel pour l’enterrement de la fillette. Le portrait de Malika, milieu de page, décalé à gauche, est un des premiers du genre en France avec celui de Mohamed Diab sept mois plus tôt. Fixation dans les mémoires d’un souvenir digne de la personne morte, le portrait de victime emprunte au portrait militant du Black Arts Mouvement des années 1960 et des portraits muraux latinos. La pratique perdure et devient la norme dans les comités de défense contre les violences policières, de Black Lives Matter aux États-Unis au collectif Adama en France, et est reprise par de nombreux graffeurs ou colleurs comme l’Américain Oree Original.
Romain Duplan, chercheur indépendant en histoire et co-fondateur de La Boîte à histoire
En savoir plus :
Immigrations, les luttes s'affichent : une sélection d'affiches issues des collections du Musée publié par la revue Hommes & Migrations dans le portfolio de son numéro "1973, l'année intense" (n°1330, juillet-septembre 2020)