Mohamed Laïd Moussa
L'année 1973 est connue à Marseille pour ses épisodes de meurtres et de ratonnades, la grève des travailleurs arabes et l’attentat contre le consulat d’Algérie par le Club Charles Martel, composé d’anciens de l’Organisation de l’armée secrète (OAS). En juillet, une rixe dans une cité universitaire tourne mal. Michel Balozian est tué par Mohamed Laïd Moussa qui est incarcéré. Jugé en mars 1975, ayant déjà purgé une partie de sa peine de détention, il ressort libre. Le 18 mars, six jours après sa libération, une fête est organisée par ses soutiens. Un homme cagoulé fait irruption et tue Laïd Moussa. Si la police pense à un règlement de compte, pour ses soutiens, c’est un meurtre raciste. Des manifestations à Marseille et à Paris font connaître l’affaire en France et le visage tuméfié de Laïd Moussa, photographié par la police après son arrestation en 1973, diffusé dans un article du Nouvel Observateur le 25 mars 1975, se retrouve sur les pancartes.
En cette année 1975, deux mois plus tard, s’ouvre au Musée d’Art moderne de Paris le 26e salon de la Jeune Peinture. Fortement politisé par la grande influence d’artistes de la Figuration narrative à partir de 1968, ce salon regroupe des collectifs engagés : « Femmes en luttes », « Collectif écologie », « Amérique latine – Luttes », « Luttes dans le marais », « Peintres dissidents en URSS ». Ces artistes questionnent la politique, l’art et l’artiste. L’affiche est ici l’oeuvre du Collectif Antifasciste, composé notamment d’anciens de l’Atelier populaire des Beaux-Arts de Mai 68.
De même, pour cette affiche, ils utilisent la sérigraphie et le détournement d’images, ici la photographie diffusée dans Le Nouvel Observateur. La demi-figure tuméfiée de Laïd Moussa, peinte d’un rouge uni, emplit toute la moitié gauche de l’image. En face, trois silhouettes d’hommes au crâne rasé, ou couvert de képis, brandissant bidule et arme à feu, chacun dans une couleur du drapeau tricolore. Dans la figuration narrative, l’image raconte une histoire : Mohamed Laïd Moussa est une victime du racisme anti-algérien qui sévit en France depuis la fin de la guerre d’Algérie, sous les coups des nostalgiques de l’Algérie française, les militaires de l’affiche, ceux nommés comme fascistes. Sous le fait divers, pour la figuration narrative, il s’agit de révéler un problème plus structurel, plus politique (Rachida Brahim, « La défense de la cause immigrée à Marseille, 1970-1980 », in Olivier Fillieule, Isabelle Sommier (dir.), Cartographie de l’espace militant marseillais, rapport intermédiaire, ANR SOMBRERO, 2014. Francis Parent, Raymond Perrot, Le Salon de la Jeune Peinture : une histoire, 1950-1983, Arcueil, éd. Patou, 2016).
Romain Duplan, chercheur indépendant en histoire et co-fondateur de La Boîte à histoire
Immigrations, les luttes s'affichent : une sélection d'affiches issues des collections du Musée publié par la revue Hommes & Migrations dans le portfolio de son numéro "1973, l'année intense" (n°1330, juillet-septembre 2020)