Halte à l’injustice et au racisme
Moussa Konaté… Ce nom signe l’affiche et résonne dans ma mémoire. Et me revient à l’esprit son inscription sur la tranche d’un des dossiers cartonnés et sanglés d’une boucle de métal qui jonchaient la table familiale. « Moussa Konaté » écrit au stylo de la main de Marius, mon père, responsable du secteur immigration de la CGT. J’avais 4 ans et, tous les samedis, je suivais mon père dans ses périples militants. Ce jour-là, il faisait beau, Moussa portait la magnifique paire de lunettes de soleil vintage de l’affiche. Marius et moi étions dans le 93, en compagnie de « travailleurs immigrés ». Mon père et Moussa discutaient avec sourire et détermination. Tout petit, je levais la tête et tendais l’oreille. La photo de Moussa traduit cette force tranquille – l’expression est-elle encore appropriée ? –, plutôt cette fraternité possible devant le foyer de travailleurs, dans une rue animée par une envie de vivre, par l’énergie débordante de l’espoir de conditions de vie décentes. Derrière Moussa, les visages d’autres résidents du foyer que l’on devine dénonçant eux aussi l’injustice. Il y a de la fierté, celle qu’on cherche à conserver quand on travaille dur, loin de chez soi, et qu’on loge dans un foyer où la promiscuité et l’hygiène sont des luxes non inclus dans le tarif journalier.
Cette affiche est sobre : deux couleurs et un niveau de gris. L’impact graphique est imparable. Un simple aplat en ocre jaune soutient des mots, un slogan, des explications. Le sens est là. On ose la « pédagogie » propre à l’éducation populaire de cette époque. Le maquettiste a choisi une typographie efficace. D’abord, en haut, un texte en majuscules et caractères gras : « Halte à l’injustice et au racisme ! » Le slogan insiste sur l’action revendicatrice contre cet ordre social qui rejette des citoyens, habitants de la cité, en fonction des origines culturelles et de la couleur de peau. L’affiche nous renseigne avec le texte en minuscules et en italique : l’action solidaire pour laquelle Moussa Konaté avait été délégué par ses camarades est mentionnée. Les institutions ont annulé son expulsion, mais le gouvernement persiste à criminaliser son action en refusant son séjour en France : un ultimatum, un « dégage » à coups de pied, pour celui qui a osé demander des « conditions de vie humaines ». Pourtant, Moussa a bien repris son travail, par la ligne 9 ou 13, l’affiche ne le dit pas. La France peut-elle être une demeure accueillante pour Moussa Konaté ? En bas, de nouveau en majuscules et en caractères gras, le Parti communiste français le demande et signe l’affiche, avec son adresse postale, sans faucille ni marteau, mais le surlignage franc d’une ligne politique affirmée.
Moussa Konaté est-il toujours vivant ? J’aurais aimé le présenter aux adolescents maliens rassemblés à l’Espace jeunes Oudiné du 13e arrondissement de Paris. Pulsart, l’association artistique et culturelle que j’ai fondée et qui lutte contre les exclusions et les discriminations, a mené l’action « Salut à toi ! » avec des jeunes et des demandeurs d’asile de ce quartier populaire qui ont pu rencontrer, lors d’ateliers de création, d’autres jeunes adultes, eux aussi maliens, passés par la Libye pour traverser la Méditerranée en bateau. Un choc de vécus, d’incompréhensions réciproques, malgré une culture d’origine commune. Moussa Konaté aurait permis la transmission de l’histoire aux générations suivantes. Que connaissent-elles des combats du Black Power américain auquel me fait penser le col « pelle à tarte » de Moussa ? Ou de ceux de Fela Kuti, à qui Moussa ressemble, chanteur et politique nigérian, inventeur de l’afrobeat avec Tony Allen, son batteur tout juste décédé ? Sur le refrain d’une de ses chansons, Gentleman datée de 1973 justement, je salue Monsieur Konaté et son combat, toujours d’actualité : « I no be gentleman at all, I be Africa man original ».
Maxime Apostolo, plasticien, fils de lutte, fondateur de l’association Pulsart
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Immigrations, les luttes s'affichent : une sélection d'affiches issues des collections du Musée publié par la revue Hommes & Migrations dans le portfolio de son numéro "1973, l'année intense" (n°1330, juillet-septembre 2020)