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Le métissage par le foot. L'intégration, mais jusqu'où?

En 1998, la France, de haut en bas et de droite à gauche, des chaires universitaires aux loges de concierges et autres entresols des cités, se découvrait – avec ou sans arrière-pensées – métisse. A tout le moins diverse. Très exactement Black-Blanc-Beur à l’image de l’équipe de France de football emmenée par Zinedine Zidane qui venait de remporter la Coupe du monde. C’est ce moment qu’Yvan Gastaut décortique et met en perspective...

En 2007, conformément à ses promesses de campagne, le président Sarkozy crée un ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire. Tollé dans la presse, émoi chez les scientifiques à commencer par nombre d’historiens et de sociologues spécialistes de l’immigration, vitupérations associatives car, les uns et les autres craignent le retour de vieux démons nationalistes. Une sorte d’arrêt sur image identitaire : la France serait gauloise, chrétienne et homogène, depuis la nuit des temps historiques et ad vitam æternam ! Cette permanence et ce tréfonds identitaire marqueraient comme une frontière entre le national et l’étranger, entre “ nous ” et les “ autres ”. L’incroyable, c’est que dix ans plus tôt, en 1998, la France, de haut en bas et de droite à gauche, des chaires universitaires aux loges de concierges et autres entresols des cités, se découvrait – avec ou sans arrière-pensées – métisse. A tout le moins diverse. Très exactement Black-Blanc-Beur à l’image de l’équipe de France de football emmenée par Zinedine Zidane qui venait de remporter la Coupe du monde. Qui écoutait alors les quelques grincheux ou… clairvoyants (Henri Amouroux, Alain-Gérard Slama, Alain Finkielkraut ou plus à gauche, Benjamin Stora, Zaki Laïdi, Denis Sieffert ou Jean-Marie Brohm) qui rappelaient au principe de réalité ? Pour quelques années, la patrie se trouvait de nouveaux héros, nés pour la plupart dans les banlieues, bien loin des champs de bataille de l’histoire nationale. C’est ce moment qu’Yvan Gastaut décortique et met en perspective. Bardé d’une revue de presse exhaustive, l’universitaire montre les ambiguïtés et les limites de cette fête où l’on célèbre à la fois le métissage de la société française et le rassemblement d’une France victorieuse sous des idéaux de nationalisme, de patriotisme, de républicanisme new look, entendre : “ exempté de chauvinisme ”. 1998 serait alors une joyeuse “ parenthèses antiraciste ”, un “ moment ” de “ recomposition et d’unité ” jusqu’à ce que le match “ France-Algérie sonne la fin de l’épisode festif lié à une équipe de France victorieuse et par conséquent vue sous le bon côté de sa pluralité ”. Yvan Gastaut suggère malgré tout, plus qu’il n’affirme, les retombées de ce “ moment ” sur l’évolution des mentalités : la dissociation opérée chez les Français entre immigration (entrée de nouveaux migrants) et intégration (questions de scolarité, accès au logement, emplois, discriminations, cités…) selon l’analyse de Philippe Bernard, journaliste au Monde. Les chercheurs n’ont pas attendu 1998 pour voir la sphère footbalistique comme un “ révélateur de situations interculturelles ”. De ce point de vue, les nouvelles vedettes de l’équipe nationale, les Ben Arfa (d’origine tunisienne), Benzema (d’origine kabyle) et autres Nasri (aux origines constantino-biskrie) marquent un tournant. “ Contrairement à la génération Zidane, ces joueurs font peu de cas de leur ascendance familiale et apparaissent aux yeux du public comme des Français à part entière ”. Et si c’était cela l’apport de 1998 : un autre regard sur ce qu’être français veut dire, un déplacement de la frontière entre “ nous ” et les autres, tant chez le public que chez les joueurs issus de l’immigration ? L’identité se refuse à l’enfermement. Elle a besoin d’air. Elle bouge et n’a de cesse de bouger. D’aller de l’avant. Et parfois de revenir en arrière ! Comme un ballon de football. Mustapha Harzoune
Yvan Gastaut, Le Métissage par le foot. L’intégration, mais jusqu’où ?, Préface de Lilian Thuram, éditions Autrement, 2008, 181 pages, 17 €. Site de l'éditeur : www.autrement.com