Quelles empreintes l’immigration laisse-t-elle dans les cuisines ?
En matière de goût aussi, les Français se nourrissent de l’ailleurs, élargissent la palette des saveurs, découvrent, réinventent aussi, des préparations débarquées en France souvent dans les valises des migrants. Depuis des années les sondages se suivent et se ressemblent : les plats d’origine étrangère font toujours bonne figure parmi les vingt plats préférés des Français, le couscous berbère et les moules frites belges y voisinent avec les spaghettis à la bolognaise et la pizza italienne.
Le couscous était déjà sur les tables des cafés kabyles dans les années 1920. Sa notoriété viendra avec l’arrivée des rapatriés en 1962. Si traditionnellement il se décline à toutes les sauces, il devient « royal » et affublé d’une merguez dans sa version hexagonale et commerciale. Quant à la semoule, elle se prépare trop souvent à l’eau chaude ou dans un four. Exit l’action bienfaitrice de la vapeur - qui fait pourtant toute l’originalité de ce plat. Sur les trente milliards de pizzas mangées dans le monde chaque année, trois milliards sont consommées en France soit dix tonnes de pizzas (une tonne de plus qu’en Italie !). La pizza est arrivée en France avec les immigrés italiens du XIXe siècle, mais c’est au lendemain de la guerre qu’elle se répand. La première pizzeria est inaugurée à Paris en 1950. Il y en aurait aujourd’hui autour de 10 000. La pizza s’accommode désormais avec tous les ingrédients possibles et imaginables. On a même servi des pizzas… au foie gras !
La ronde des fourneaux ou quand le gratin vient d’ailleurs
Kebabs turcs, sushis japonais, nouilles thaïes, tapas espagnoles, ragoût de kimchi coréen, Banh mi,… tous ces plats venus d’ailleurs sont au centre de la série (deux saisons) « Les Paris du Globe Cooker » de Fred Chesneau (Canal +) : un Paris multiculturel aux mille saveurs, 24 communautés des plus « anciennes (algériens ou Portugais) au plus récentes (Irakiens ou syriens), une centaine d'épiceries, de cantines de quartier et de restaurants d’un Paris cosmopolite où la table, des uns et des autres, crée du lien et des émotions ». Pour Fred Chesneau, « la cuisine, ça n'est que cela ! Le couscous fait aujourd'hui partie de notre patrimoine culinaire, c'est d'ailleurs un des plats préférés des Français. Le kebab, dont je parle dans l'épisode sur la communauté turque, a détrôné le jambon-beurre. Et qu'est-ce que serait notre cuisine si Christophe Colomb n'avait pas découvert l'Amérique… La cuisine n'est que la résultante de l'ouverture au monde. Et, comme toutes les autres, la cuisine française est le fruit d'un brassage, d'un métissage ». C’est sans doute l’esprit des associations Les cuistots migrateurs ou de Refugee Food qui visent à faire des réfugiés des cuistots. Un espace de partage, de rencontre et de formation.
Et puis il y a les « toqués », les « étoilés », les « primés » la crème des fourneaux et des casseroles. Il se nomment Yazid Ichemrahen, plus jeune chef pâtissier de France à 19 ans, et Champion du Monde à 22 ans, Masashi Igichi, chef nippon, Mauro Colagreco, l'Argentin, Chi Tam Phan d’origine vietnamienne, Akrame Benallal d’origine algérienne comme Mohamed Cheikh, Mory Sakho, d'origine malienne, Rogui Dia aux origines sénégalaise et peuls, Alan Geaam d’origine libanaise. Il faut aussi évoquer la cohorte de passionné(e)s appelés, pour certaines et certains, à devenir demain les ambassadeurs de la cuisine française. Ils viennent - en ligne droite ou par des chemins détournés - de Chine, du Vietnam, de Hong-Kong, de Taïwan, de Corée, des Philippines, du Canada, d’Allemagne, d’Angleterre, d’Argentine, de Grèce, d’Afrique du Nord, du Brésil… et se nomment Amandine Sepulcre Huang, Céline Pham, Charlotte Mosely, Henrike Theda Klug, Nam Nguyen et Hô Ly, Emily Chia, Hanzhou Piao, Esu Lee, Christina Huang, Tatiana Levha, Moko Hirayama, Laura Ait Si Amer, Raquel Carena, Mikaela Liaroutsos, Alessandra Montagne…
Mustapha Harzoune, 2022