Champs libres : films

La Vraie Famille

Film de Fabien Gorgeart (France, 2022)

journaliste, critique de cinéma

Sincère, émouvant, provoquant parfois les larmes, La Vraie Famille est plus proche du mélodrame que de la classique comédie dramatique. Fabien Gorgeart, à la fois auteur et réalisateur, a su tisser la toile des sentiments humains dans un cadre filial qu’il a imaginé et nourri autour d’une pléiade d’acteurs aussi convaincants les uns que les autres.

Anna, qu’incarne une bouleversante Mélanie Thierry, forme un couple uni avec Driss (Lyes Salem, que l’on retrouve toujours avec autant de plaisir soit comme acteur soit comme réalisateur). À leurs côtés, deux garçonnets, Adrien (Idriss Laurentin-Khelifi) et Jules (Basile Violette), qui sont attachés à Simon, un enfant de 6 ans placé à 18 mois dans cette famille par l’aide sociale à l’enfance. Un lien fusionnel s’est noué entre lui et Anna.

L’intrigue du film est pleine d’événements et de situations qui oscillent entre les affects et parfois les affrontements, d’autant qu’Eddy (Félix Moati), le père biologique, obtient la garde du jeune Simon. L’enfant, très proche de ses parents adoptifs pour lesquels il constitue le troisième garçon de la fratrie, vit la demande de son père biologique comme un déchirement. Anna se persuade qu’il lui faudra exécuter les décisions de justice quant au renvoi de l’enfant auprès d’Eddy qui désire exercer son droit paternel.

Dans Diane a les épaules, son premier long-métrage, Fabien racontait l’histoire d’une femme qui porte un enfant pour d’autres et qui va devoir s’en séparer. Pour Diane, le contrat est tacite : porter cet enfant est une mission, elle décide qu’il ne sera pas le sien.
Dans La Vraie Famille, accueillir et élever ce petit garçon est un travail mais Anna le considère comme son fils. En fait, les deux films fonctionnent en miroir, tels deux doubles inversés. Dès ses débuts, Fabien Gorgeart s’est inspiré de l’histoire vécue par sa mère qui a eu à adopter un enfant que, comme dans le film, elle va garder près d’elle de 18 mois à 6 ans. La maman du cinéaste n’avait peut-être pas mesuré l’implication émotionnelle de cette fonction particulière et le seul conseil qu’elle a reçu des assistantes familiales était « aimez cet enfant mais ne l’aimez pas trop ». « Au point que, pour ma part, nous dit le metteur en scène, j’ai ressenti le besoin prégnant de transformer ce souvenir personnel si chargé émotionnellement en fiction et ainsi de lui conférer une forme, une portée plus universelle. »

Anna se retrouve très souvent dans des situations singulières avec Simon, du fait par exemple qu’il n’est pas autorisé à aller à l’accrobranche avec les autres enfants ou qu’il doive aller à la messe le dimanche… Il se retrouve ainsi à passer des moments privilégiés avec Anna, laquelle fait parfaitement son travail en respectant à la lettre ses obligations. Mais de fait, ces moments se multipliant, ils nourrissent un lien intime au coeur de cette cellule familiale. Son attachement très fort à cet enfant va naître à l’intérieur même d’un système qu’elle respecte. La relation entre Anna et Simon prend une teinte qui outrepasse l’amour maternel. Au sein de la famille, il n’y a qu’avec Simon qu’elle entretient un tel rapport charnel. Leur relation est fusionnelle comme le montre la séquence à la montagne. Et c’est bien là tout le problème.

Au début du film existe un petit suspense concernant Simon qu’on pourrait croire malade… mais on comprend ensuite qu’il est un enfant placé. « Cette incertitude est pensée pour placer le spectateur dans cette famille qu’il ne connaît pas, comme dans la vie, précise Fabien Gorgeart, vous rencontrez des gens sans posséder toutes les clés. Je voulais qu’on entre dans cette cellule familiale et qu’on en comprenne la structure pas à pas. Cette photo de famille se précise petit à petit. D’une manière générale je voulais qu’on comprenne que Simon y tient une place à part. »

La première partie du film se décline en plans-séquences où la caméra fait sentir sa présence en étant très mobile, puis elle se pose quand la tension dramatique s’accentue et cette tension fait sortir des moments de vie : « Quand Simon commence à passer ses week-ends chez son père, comme dans la séquence de la visite des voisins par exemple, je voulais qu’on sente la vie se réorganiser sans lui. On revoit la maison vivre, mais autrement. En faisant durer les plans et en les chorégraphiant avec mon chef opérateur Julien Hirsch, nous cherchions à donner plus de place au présent », explique Fabien Gorgeart avec force précision. Et dès lors on passe à une séquence plus « thriller » qui modifie la tonalité du film. La mise en scène va dès lors se resserrer et, plus découpée, elle utilise de fait une autre grammaire cinématographique. Très proche de son sujet et de ses personnages, La Vraie Famille oscille dans un mélange de tension et de légèreté qui parfois cohabitent dans la même séquence.

Le visage de Mélanie Thierry se révèle comme un paysage à la météo changeante, notamment dans les scènes où elle fait face à l’institution. Pour Fabien Gogeart, « Mélanie a une intensité, une profondeur qu’elle ne lâche jamais, c’est absolument grisant à filmer. Chaque scène imaginée au scénario prenait une ampleur de cinéma folle quand elle se mettait à jouer ».

Mélanie Thierry occupe l’espace-temps avec une présence remarquable, portée également par le jeu sensible et authentique de tous les comédiens qui l’entourent.

Il suffit d’écouter le personnage d’Anna évoquer le rôle et la personnalité de Lyes Salem : « Lyes est un partenaire de rêve. Notre entente fut immédiate, instinctive, évidente. Nous nous sommes rencontrés pour préparer le film, en leggings, en cours de danse, sur les Rita Mitsouko et j’avais l’impression de le connaître depuis toujours ! On dansait comme des pieds, on se marrait et cela a créé une vraie complicité entre nous. Danser permet d’être tout de suite dans le sensuel, le toucher, et cela brise la glace rapidement. C’est vraiment mystérieux cette alchimie quand elle opère. Le personnage de Driss est très protecteur, Lyes dans la vie est lui aussi un vrai papa avec les gens, il est rassurant, bienveillant, attentif, droit, entier. Il est très chaleureux avec les enfants et a eu une grande facilité à les entourer sur le plateau. La façon dont il a donné corps à son personnage et la manière dont il a protégé le mien était très précieuse. »

Ce brillant hommage de Mélanie Thierry exprime toute l’osmose et l’harmonie qui accompagnent avec talent une narration à la fois brillante et structurée sans jamais tomber dans le pathos, le mélodrame ou le romanesque…