Voyage au bout de l'exil
Achour Wamara, Paris, L’Harmattan, 2021, 160 p., 16,50 €
Voici le cinquième ouvrage publié par Achour Wamara, auteur important et exigeant. L’homme a du style, et du meilleur. Pas le genre passe-partout, à l’eau de rose et sans âme : il y a du sens ici, et du nerf, de la personnalité et de la force, du réalisme sans illusion et de l’amour, si ce n’est pour son prochain à tout le moins pour ses semblables. La plume, assassine, décille le regard et régénère l’esprit. La phrase persifle, file, inventive, se joue des citations et brandie les références et les néologismes comme le fou du roi les bouffonneries. Ici, le réel se niche au détour d’une pirouette stylistique. L’ironie et les lazzis sont socratiques.
Comme l’auteur s’en vient combattre quelques doxas, mieux vaut être armé, bomber le torse, ne pas pleurnicher sur la « pôvre » condition du rastaquouère en goguette.
Dans ce Voyage au bout de l’exil, titre à l’accent célinien, vous trouverez tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’exil sans jamais oser le demander ! L’auteur ramasse des rayons de romans et d’essais sur le sujet. Une bibliothèque de poche. Le livre, inclassable, pluridisciplinaire et pluridimensionnel, relève à la fois du témoignage, de l’essai, de la compilation et de la fiction, il barbote aussi bien dans le roman, la sociologie, l’anthropologie ou le politique. Il n’y manque que des statistiques pour appuyer le propos – qui n’en a que faire d’ailleurs. Tout y passe et la chronologie est aux petits oignons. Depuis le départ – « que tu sois persécuté ou démuni, tu ne pars pas, tu fuis, parfois la honte à tes basques […] chargé comme une mule de tous les faux espoirs » – jusqu’au final et grand voyage et « ta progéniture qui ne sait plus où donner du cimetière ». En courts chapitres, Achour Wamara scande, transcende, ce qu’il faut bien appeler, pour rester dans l’esprit du livre, les stations du chemin de croix de l’exilé : l’arrivée, la frontière, l’accueil, l’administration, le regard de l’autre, la naturalisation, la « dé-marque identitaire » ou « la braderie » de l’identité, « les vocations de demi-savants » et autres Diafoirus de la migration, les mouvements de l’intégration, les deux mamelles des politiques publiques : suspicion et duperie, etc. Chez Wamara, « la condition exilique » relève de la tragédie : « Il n’y a pas d’exil heureux » écrit l’auteur qui, belle âme dotée de tact, concède : « Nul n’est obligé de s’y reconnaître. Ici l’optimisme est mort et enterré. »
Et pourtant, l’exil n’a jamais été un processus univoque. Et si pour un rastaquouère (apparemment) heureux, il faut compter des milliers d’infortunés, c’est sans doute le premier qui donne le « la », celui de se découvrir autre face à une réalité autre comme disait Mohammed Dib. De se changer soi-même et de changer le monde ! Même le terrible et inquiet Wamara le dit, presque contre son gré, par honnêteté d’observation, lui, le pessimiste, est bien obligé de le reconnaître : « Tu es un coucou en mal de nid accueillant. Malgré tout, exilé tu pollinises la terre d’accueil. » « Tu as emporté ta semence qui fera bifurquer ta généalogie. » « L’enfantbouture » « né de l’exil réécrit le testament national, il le modifie et rajoute quelques feuillets, il en fait un inédit ». « Il dé-exile les parents » !
Et ce n’est pas tout ! Si « l’autochtone ne sait rien de ta vie immergée, ou feint de l’ignorer », Wamara salue le « je qui est un hôte », pas « les commerciaux de l’éthique à quatre sous », mais ceux qui « défient la Loi d’airain pour ne pas faillir aux droits humains », ceux qui, « Avec des petits riens, font des liens. ». « Un seul être vous étreint, et le monde est réenchanté. »
Parce qu’il ne cède ni au vertige des origines ni à celui du déguisement, « l’exilé créateur » « se tortille dans ses questionnements à n’en plus finir ». Il « ne doit [sa] santé mentale qu’à ce funambulisme sur la corde des allégeances ». Condition incertaine qui est le prix à payer de la création et de l’invention. Wamara dissèque alors la dialectique des « gnangnans mémoriels », de l’oubli et de l’anamnèse ; la dialectique des racines et des « bâtardises » ; la dialectique des langues aussi, entre la disparition des langues maternelles et les aises que prend le métèque avec la langue d’accueil, « pour s’allonger au milieu de la phrase et y marquer son territoire ».
Et puis, il y a l’essentiel, ces vertus prêtées à l’exilé qui « remplacera les identités dites inoxydables par des biodégradables ». Une identité « réfractaire à toute fixation », à toute « essence ». Le « Tu te déraces » sonne comme une condamnation des enfermements de… « race ». « Tu tends l’oreille en permanence aux appels d’identité, de souche ou à babouches, pour te défiler dare-dare, t’en éloigner en chat botté. » Oui, trois fois oui à tout ce qu’écrit Achour Wamara, et surtout à ces (quelques) rais de lumière qu’il laisse échapper de l’intérieur sombre des valises de l’exilé.