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Droit du sol

Les candidats à l’émigration ne périssent pas seulement au large des côtes espagnoles ou italiennes. Ils sont aussi des milliers, chaque année, à tenter d’accoster du côté de Mayotte. De l’île d’Anjouan, distante seulement de 70 km, ils embarquent à 30, 40 voir 50, hommes, femmes et enfants sur un kwassa, une barque de pêche traditionnelle, pour l’aventure. Ceux qui échappent à la mort et à la police française vivent en clandestins à Mayotte. Dans Droit du sol, Charles Masson, raconte tout cela. Et plus encore…

Les candidats à l’émigration ne périssent pas seulement au large des côtes espagnoles ou italiennes. Ils sont aussi des milliers, chaque année, à tenter d’accoster du côté de Mayotte. De l’île d’Anjouan, distante seulement de 70 km, ils embarquent à 30, 40 voir 50, hommes, femmes et enfants sur un kwassa, une barque de pêche traditionnelle, pour l’aventure. Ceux qui échappent à la mort et à la police française vivent en clandestins à Mayotte. Dans Droit du sol, Charles Masson, raconte tout cela. Et plus encore. Car, derrière ce droit du sol dressé comme un mur sur lequel viennent buter les candidats à la nationalité française et dont profitent bien des réseaux, mafieux ou économiques, Charles Masson décrit le microcosme des transplantés de la métropole, microcosme d’une société néo-coloniale qui déverse, la conscience tranquille et satisfaite, son idéologie d’un autre âge, ses tares psycho-affectives et sa raison raisonnante. Danielle, la sage-femme tout juste débarquée sur l’île et aussi vite effarée et déçue, résume d’un trait la situation : « je suis venu pour donner, pas pour prendre ni me terrer ». Charles Masson est médecin et dessinateur. C’est dans son quotidien et ses expériences professionnelles qu’il recueille la sève et le suc de ses récits et de ses dessins. L’imagination entre peu ici dans le processus créatif. L’observation et les témoignages recueillis nourrissent davantage cet album. Le réalisme n’interdit pas les émotions et Charles Masson observe ses contemporains autant avec les yeux de la raison qu’avec ceux du cœur. Le scénario est construit autour de quelques personnages : Serge le frustré adipeux, Pierre, le toubib, parti plus pour prendre quelque distance avec Berline, son épouse, que pour faire de l’humanitaire ou encore Jacques l’héroïnomane en mal de sevrage. Tous ces bonshommes s’éprennent qui de Lucie qui d’Anissa ou de Marie. Belles beautés des îles et clandestines en quête de mariage… ou pas. Heureusement la BD de Charles Masson, pour être franchement à charge contre cette « médiocrité ambiante » qui rappellerait « la France de Pétain », contre la politique mise en œuvre par Nicolas Sarkosy, d’abord à l’Intérieur puis à l’Elysée, n’est pas manichéiste : tous les Blancs ne sont pas mauvais et l’autochtonie, la préférence nationale version mahoraise, la couleur de la peau ou la religion – ici l’islam des prédicateurs - est loin d’être une garantie d’humanité. Masson, le toubib, raconte les fantasmes sexuels, la mise en place de la sécurité sociale sur l’île et du coup la fin de la gratuité des soins pour les clandos, les ravages du couple médecine-politique, la transformation des médecins en kapos… Il montre surtout le fiasco et l’esbroufe de la politique du chiffre en matière d’immigration. Ses conséquences désastreuses sur le plan humain. Mais tout cela se passe bien loin de la métropole… Charles Masson dessine en noir et blanc. Le coup de crayon est vif et ne s’encombre pas de détails. Le dessin peut paraître sommaire, il est épuré et va à l’essentiel. Les bonnes âmes ne se privent pas de le rappeler : « La France ne peut accueillir toute la misère du monde » oubliant parfois qu’elle doit y prendre sa part selon la formule d’origine. Mais le monde, lui, fut-il dénommé France d’outre-mer, jusqu’à quand pourra-t-il accueillir toute la misère de l’Hexagone ? En tout cas, à bien lire Charles Masson, Mayotte en a plus que sa part. Mustapha Harzoune

Charles Masson, Droit du sol, éd. Casterman 2009, 437 pages, 24€.