Serons-nous submergés ? Épidémie, migrations, remplacement
Hervé Le Bras, Paris, éd. de L’Aube, 2020, 194 p., 19,90 €.
Hervé Le Bras célèbre « les faits », « points de passage obligés des raisonnements, leurs fourches caudines. » Les faits, appareillage statistique à l’appui et une méthode : mesurer les dynamiques spatiales pour expliquer nombre de phénomènes, changer d’échelle, passer de la France aux départements, quitter l’Afrique comme « bloc » indistinct pour les réalités nationales et même régionales, réfléchir « aux emboîtements successifs » des différents espaces (hexagone – régions – départements – cantons – communes, etc.). Ce travail s’applique ici aussi bien pour interroger la dynamique de l’épidémie du Covid-19, qu’à certaines questions liées à l’immigration.
Qu’il s’agisse de l’emploi des immigrés, de la démographie africaine, du grand remplacement, du vote Rassemblement national ou des migrations climatiques, « les migrations sont presque toujours étudiées, défendues ou stigmatisées au moyen de faits particuliers ou de chiffres globaux compilés à l’échelle nationale. Or les importantes différences d’intensité de l’immigration, localement et régionalement, rendent caducs certains jugements à son sujet ». Ainsi, concernant la répartition des immigrés, « la dimension spatiale est prépondérante » et non une spécialisation des immigrés dans certains métiers. « Ce n’est […] pas la demande de métiers dont les Français ne veulent pas qui constitue le ressort de l’immigration, mais un désir de changement et de progrès » couplé avec « plus d’ambition pour leurs enfants ». Partant, « les migrants sont plus enclins à rechercher des opportunités » d’où « une plus grande facilité de mouvement dans l’espace, mais aussi social ».
L’auteur balaie, statistiques et analyses spatiales à l’appui, les théories de Stephen Smith et « la peur d’une arrivée massive d’Africains ». L’Afrique n’est pas un tout composite. Les seules réalités qui vaillent sont les 47 États africains. Dès lors, il faut introduire du discernement, en finir avec les logiques de flux (liquides) et autres pressions (atmosphériques) et réfléchir à partir de réalités objectives : les migrants ne viennent pas des États les plus peuplés, ni des plus pauvres, ni de ceux dont la croissance démographique est la plus rapide. Il faut pour chacun mesurer les taux de croissance, de fécondité, d’éducation (les diplômés migrent davantage), et rappeler que la Turquie, l’Amérique, l’Océanie sont préférées à une Europe un brin dépressive. À rebours de Stephen Smith, l’auteur montre que « la pression démographique ne joue aucun rôle dans les effectifs de l’immigration africaine », que les migrations dépendent d’abord de la proximité de la France, du passé colonial, de l’existence de réseaux ; ce qui explique que « 55 % des 96 000 entrées africaines en 2017 viennent des pays du Maghreb », autrement dit des pays d’Afrique qui ont la croissance démographique… la plus faible ! Ce qui n’exclut pas une mondialisation de la migration, comme le montre la « modeste » croissance (de 9 à 18 %) des entrées des Africains en provenance de pays qui n’ont pas été colonisés par la France (Soudan, République démocratique du Congo, Guinée).
Les données des enquêtes de recensement annuelles permettent à l’auteur de railler la « fable du grand remplacement » et « l’incompétence ou l’ignorance crasse des hommes politiques de l’extrême droite et de son voisinage ». Toutes choses égales par ailleurs et reprenant à son compte les petits calculs de l’extrême droite, il faudrait attendre 2 234 ans pour que les Français d’origine deviennent moins nombreux que les « immigrés ». Mais le plus important est ici : « Le vice caché de ce raisonnement réside dans la confusion entre nationalité et immigration, entre politique et démographie. » Non seulement, la mixité des unions et les naturalisations repoussent une vision figée des origines mais, appelant un chat un chat, il souligne que « même si la population issue de l’immigration devenait majoritaire, elle serait particulièrement composite. Tous ne seraient pas Maghrébins, comme l’imagine le roman de Michel Houellebecq » !
Hervé Le Bras montre que les succès électoraux de l’extrême droite, ne s’expliquent pas par la présence des immigrés mais par « l’éloignement des grandes villes », et notamment par le fait de résider dans les « zones périurbaines », là où les habitants « ne cohabitent pas avec les immigrés mais les croisent épisodiquement, notamment dans les transports entre leur domicile et leur travail. Ils les connaissent donc peu et, de ce fait, peuvent surestimer leur nombre et fantasmer leur éventuelle dangerosité ». Et de citer les peurs autour de la concurrence des immigrés, de l’islam, de la déterritorialisation et autre trahison à la nation portées à la fois par les élites et les immigrés, autant d’amalgames véhiculés par… Soumission de Michel Houellebecq, que l’auteur semble ne pas avoir apprécié.