Champs libres : films

Les Miens

Film de Roschdy Zem (Français, 2022)

Journaliste, critique de cinéma

En signant cette chronique familiale, Roschdy Zem a réuni dans un film choral une génération de comédiens issue de l’immigration, devenue depuis incontournable dans le cinéma français. Dans le film Les Miens, ils ont pour nom Sami Bouajila, Roschdy Zem ou Maïwenn… et ils sont accompagnés, dans le rôle d’un des frères, par un metteur en scène emblématique qui les a dirigés, eux et bien d’autres, dans différentes problématiques : Rachid Bouchareb.

Les Miens c’est d’abord une tranche de vie d’une famille restée unie malgré les travers des uns et des autres, aimante malgré les conflits et les malentendus et omniprésente dans la vie de chacun d’eux.
À la suite d’une soirée quelque peu arrosée, Moussa, le personnage de Sami Bouajila, directeur financier de son métier, est victime d’une chute qui occasionne un traumatisme crânien, lequel va le transformer et révéler du coup les oppositions et les non-dits au sein de la fratrie. Avant son accident, Moussa était un être doux, altruiste, présent pour les autres.
À l’inverse, Ryad (Roschdy Zem) est un présentateur télé célèbre et quelque peu imbu de sa personne qui s’est un peu plus éloigné du reste de la famille. Son entourage lui reproche son égoïsme et seul Moussa le défend. Il éprouve pour son frère une grande admiration et une forte affection qui se révèle lors d’une séquence en Normandie où les deux frères vont se rapprocher encore plus. Subissant les séquelles de son accident, méconnaissable, Moussa parle à présent sans filtre et balance à ses proches leurs quatre vérités. Il finit ainsi par se brouiller avec le reste de la famille, sauf bien sûr avec Ryad dont la compagne Emma (Maïwenn) tente d’amoindrir l’ego surdéveloppé par sa notoriété de vedette télé.

Le film pourrait prendre la forme d’une comédie dramatique mais ce n’est pas le propos de Roschdy et de Maïwenn, dont l’apport au scénario est important, elle qui a souvent traité le thème de la famille (Pardonnez-moi, ADN ). Leur collaboration a été semble-t-il très fructueuse, Roschdy ayant plutôt une approche organique de l’écriture quand Maïwenn est tout de suite dans la « chair » des personnages.
Roschdy Zem met en scène un film à forte teneur autobiographique puisque l’accident cérébral survenu à Bouajila dans le film est arrivé à son propre frère. « Cet évènement, relate Roschdy Zem, a créé un cataclysme au sein de ma famille qui est une famille à la fois très soudée et en proie aussi à des conflits comme dans toutes les familles. Tout ce qui constitue cet accident nous a bouleversés. Quand l’un d’entre nous est touché, c’est tous les autres qui s’en trouvent affectés. »
« J’estime être un enfant de l’amour, poursuit-il, car c’est un privilège d’avoir été très aimé. Je ressens combien ça m’a aidé pour la suite, notamment face au poids de la famille et au poids sociétal, celui de la vie dans un quartier dont vous devez vous échapper parce qu’il ne vous promet qu’un avenir sombre. Cette volonté de s’échapper est un combat souvent considéré comme perdu d’avance ou lorsque vous réussissez, comme un traître par ceux qui ont décidé de ne pas le tenter. C’est pour ça que pour moi, il était primordial de montrer dans le film une autre jeunesse qui est la seule à décider de ce dont elle est capable. Elle peut paraître par moment égoïste, inconséquente mais aussi libre et surtout vivante, agissante, elle ose parler sans demander si elle a le droit. »

De cette histoire réelle à caractère dramatique, Roschdy Zem a fait également une comédie. On rit ou on est choqué, le cinéaste renoue avec des élans de la comédie italienne, lorgnant du côté de Vittorio de Sica ou Ettore Scola, lesquels traitaient des évènements en déclenchant le sourire et le rire. Et l’on retrouve ces aspects et ces influences dans Les Miens.
L’équipe des comédiens adultes et plus jeunes sont tous très convaincants et les scènes chorales formidablement mises en scène. Roschdy Zem souligne que « ce qui [l]’intéressait c’était de raconter l’évolution sociale de notre société, quelque chose qui a réussi, qui en a fini avec cette attitude qui consiste, pour une certaine jeunesse des quartiers, à s’excuser en permanence d’être là et qui doit remercier tout le monde, tout le temps ».
Et Roschdy Zem de conclure : « Quand on a commencé notre métier d’acteurs, il y a trente ans, avec Sami Bouajila notamment, on s’excusait d’être là. Aujourd’hui, la nouvelle génération de comédiens issus de la diversité n’a pas ce complexe. Elle est là parce qu’elle a le talent, les compétences, et à ce titre, elle se sent à sa place. »