Politics and immigration

Qu'est-ce qu'un centre de rétention administrative ?

Les centres de rétention administrative (CRA) sont des lieux d’enfermement où sont retenus les étrangers auxquels l'administration ne reconnaît pas le droit de séjourner sur le territoire français. La rétention n’est pas une mesure punitive : la privation de liberté ne sanctionne pas un crime ou un délit mais une infraction au séjour ; ici, la retenue vise à procéder à l’éloignement de l’étranger. Les principales mesures d’éloignement à l’origine du placement sont des OQTF (61,54%) et les transferts Dublin (19,5%). En 2021, selon le rapport de la Cimade sur la rétention, la situation des étrangers avant leur retenue en CRA s’établissait comme suit : 3 137 sorties de prison (23,5 %) ; 2 994 contrôles de police (22,5%) ; 1 818 contrôles en gare (13,6%) ; 1 006 interpellations aux frontière (7,5%) et 814 arrestations au guichet (6,11%). Depuis 2016, toujours selon la Cimade, les placements en rétention à la levée d’écrou sont en hausse. Le projet de loi Darmanin souhaite étendre le principe de la « double peine », en cas de « crimes et de délits graves », à des étrangers délinquants jusque-là « non expulsables » (étranger arrivé en France avant l'âge de 13 ans, conjoint de Français depuis au moins 3 ans…).

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Bruno Serralongue, Manifestations du collectif de sans-papiers de la Maison des Ensembles, 2001-2003 © Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration
Bruno Serralongue, Manifestations du collectif de sans-papiers de la Maison des Ensembles, 2001-2003 © Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration

Un CRA n’est pas une prison

Un CRA n’étant pas une prison - ce qui ne veut pas dire que « ces enceintes anxiogènes, cerclées de murs et de barbelés » (la Cimade) ne relèvent pas d’un univers carcéral - sa gestion n’incombe pas au ministère de la Justice et la surveillance y est exercée par des policiers et non par le personnel pénitencier. 

L’article L741-3 du Ceseda (Code d’entrée et du séjour et du droit d’asile) stipule qu’« un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration exerce toute diligence à cet effet ». Pourtant, la durée maximale de rétention est passé de 7 jours en 1981 à 12 en 1998 (J.P. Chevènement, ministre de l’Intérieur), à 32 en 2003 (N. Sarkozy), 45 en 2011 (B. Hortefeux) et 90 en 2018 (G. Collomb). 

En 2021, la durée moyenne de rétention était de 22 jours (contre 12,7 en 2016) : 50% des étrangers ont été retenus de 0 à10 jours et 10% (contre 4% en 2019) de 60 à 90 jours. La Cimade note que la majorité des éloignements intervient dans les premiers jours de la rétention : autrement dit la probabilité d’éloigner un retenu baisse avec le temps d’enfermement.

42 350 retenus en 2021

En 2021, la France comptait 25 CRA (dont 4 en Outre-mer). Chaque centre de rétention ne peut excéder 140 places. Le nombre de places en CRA et en métropole s’élevait à 1 762 (1 814 places en 2019 selon la Cours des Comptes). Avec la création de nouveaux CRA à Lyon (+140 places), Bordeaux (+140), Olivet (près d’Orléans, +90) ou Mesnil-Amelot (+64), les capacités de retenue ne cessent d’augmenter. Le nombre de personnes retenues en métropole était de 14 701 et de 27 649 en Outre-mer, soit 42 350 personnes passées en CRA en 2021.

95 % des personnes retenues sont des hommes, pour 4,5 % de femmes et 0,5% d’enfants accompagnant leur(s) parent(s). En 2021, le nombre de familles retenues s’élevait à 41, pour 76 enfants, âgés en moyenne de 6,5 ans et retenus durant 1,9 jours en moyenne. A Mayotte, précise la Cimade, le nombre d’enfant enfermé en rétention est 40 fois supérieur.

Le 31 mars 2022, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné pour la 9ème fois l’administration française (depuis 2012) pour l’enfermement d’enfants dans les centres de rétention.

52,7% des personnes retenues sont : albanaises (11,5% soit 1 687 personnes), algériennes, (10,3% ; 1 521 personnes), tunisiennes (9,4% ; 1 387 personnes), marocaines (8,6% ; 1 262 personnes), afghanes (6,8% ; 1 001 personnes) ou roumaines (6,1% ; 899 personnes). Suivent les nationalités géorgienne, guinéenne, ivoirienne et moldave. Plus de 45% des éloignements hors-UE sont réalisés vers l’Albanie et concernent des Albanais en transit vers le Royaume-Uni.

Quel est le devenir des étrangers retenus ? Selon la Cimade, 51,1 % ont été libérés (dont 40,07 % par décision judiciaire, et 7,39% par décision préfectorale) et 42,5% ont été effectivement éloignés (19,55% de renvois vers un pays hors de l’UE et 22,82% vers un pays membre de l’UE ou espace Schengen). Selon la Cours des Comptes, le coût moyen de la rétention en 2018 s’élevait à 6 234 € et ce pour des structures particulièrement couteuses : 2 341 agents publics et policiers sont affectés en CRA.

Conditions de rétention

Tentatives de suicide, actes d’automutilation, humiliations, violences physiques et psychologiques policières, mauvaises conditions sanitaires (notamment en période d’épidémie COVID), saleté et promiscuités, tensions diverses - accrues par la présence en rétention de délinquants condamnés - sont régulièrement documentés par la littérature académique comme par des enquêtes journalistiques.

Assistés d’une association ou d’un avocat, les étrangers retenus peuvent saisir un juge des libertés et de la détention (JLD) pour contester leur placement en rétention, leur refus de séjour ou leur expulsion. Les associations présentes dans les CRA (Forum réfugiés-Cosi, France Terre d’Asile, Groupe SOS Solidarités, Assfam, La Cimade, Solidarité Mayotte) se fixent plusieurs objectifs : garantir les droits des personnes retenues, les conseiller et les assister pour saisir le JLD, informer l’opinion publique, dénoncer les conditions de détention, soutenir et relayer les luttes et revendications des étrangers retenus. Dans une tribune publiée en octobre 2022, neuf associations appellent les pouvoirs publics à repenser l’usage de la rétention et en finir avec « cette obsession insensée pour l’enfermement et les expulsions, devenues seules boussoles de politiques publiques sacrifiant ainsi la santé, les droits et la dignité des personnes étrangères ».

Une justice à distance

L’installation de salles d'audience à l'intérieur des centres de rétention (depuis 2006) a provoqué un débat au sujet du non-respect du principe de la séparation des pouvoirs (les centres de rétention étant soumis au ministère de l'Intérieur). Un avis de la Cour de cassation du 16 avril 2008 interdit la tenue d’audiences judiciaires dans l’enceinte même des centres de rétention. Les nouvelles salles sont dès lors installées dans une enceinte séparée mais à proximité des centres de rétention. Depuis 2003, les audiences peuvent se tenir en visioconférence : ainsi l’étranger retenu se trouve dans un local géré par des forces de police et le magistrats (JLD) siège à distance. Pour éviter les escortes des retenus et redéployer des effectifs sur la voie publique, le projet de loi sur l’immigration de janvier 2023 entend étendre le recours à la vidéo-audience en centre de rétention et en zone d’attente.

Mustapha Harzoune, janvier 2023

Sources :

  • Cimade, Rapport 2021 sur les centres et locaux de rétention administrative.
  • Cours des Comptes, Rapport thématique « L’entrée, le séjour et le premier accueil des personnes étrangères », mai 2020.