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L’Islam moderne. Des musulmans contre l’intégrisme

Comment se porte l’Afrique du Nord et une partie de sa diaspora exilée en France ? C’est à cette réflexion que conduit le livre de Nadia Khoury, dans cette vaste enquête menée en Algérie, au Maroc, en Tunisie et du côté de Paris, ville où la journaliste est installée. Ce livre-enquête plonge le lecteur au cœur de l’islam et de sa place dans la sociétés d’Afrique du Nord.

Comment se porte l’Afrique du Nord et une partie de sa diaspora exilée en France ? C’est à cette réflexion que conduit le livre de Nadia Khoury, dans cette vaste enquête menée en Algérie, au Maroc, en Tunisie et du côté de Paris, ville où la journaliste est installée. Les dernières nouvelles ne sont pas bonnes : l’écrivain algérien Amin Zaoui a été limogé fissa de son poste de directeur de la Bibliothèque nationale pour avoir reçu, le 14 octobre dernier, le poète Adonis qui a tenu une conférence dans laquelle il déclarait notamment « Le retour à l’islam signifie notre extinction civilisationnelle ». Cela irrita le ministère de tutelle et sans doute la présidence d’un pays où le repos hebdomadaire vient d’être courageusement décalé… au vendredi et au samedi ! Toujours à Alger, au mois de mai, on apprenait la prochaine fermeture de la Librairie des Beaux-Arts. Voilà donc un des rares lieux culturels encore existant menacé de disparaître – aux dernières nouvelles, son directeur, Boussad Ouadi, qui accorde un long entretien à Nadia Khoury, a décidé de se battre. Cette fermeture serait d’autant plus symbolique que l’édition algérienne est phagocytée par les islamistes. C’est ce que montre Nadia Khoury. Tandis que les « centres culturels islamiques » poussent comme des champignons, les lieux culturels se raréfient, périclitent ou ferment leur porte. L’auteur ne cache pas « un sentiment de résignation et de défaite face au poids de la religion dans l’Algérie d’aujourd’hui, parmi les classes populaires ». La religiosité gagne. En Tunisie, les acquis - des femmes comme en matière de séparation des pouvoirs entre Etat et religion - se réduisent sous les coups de boutoir des religieux. Au Maroc, en apparence plus consensuel, des espaces de liberté sont apparus, dans les médias ou avec la Moudawana. La presse peut y lever quelques lièvres, jusque-là tabous (sexualité, drogue, prostitution, hypocrisies religieuses…) mais pas touche au roi (voir la censure sur le sondage récent du Monde et du magazine Tel Quel) au Sahara Occidental et à la religion. A la laïcité, on préfère la sécularisation et quant à l’évolution de la société elle se fera avec la religion. Ainsi, pour le politologue, Mohamed Wazif : « on ne peut pas penser la sécularisation dans un pays islamique comme dans un pays occidental : ici, celle-ci doit se situer dans le champ religieux. Au Maroc, historiquement, la religion est une composante identitaire. » Partout, le voile est omniprésent. Comme le répète justement l’auteur – mais trop souvent ! - il ne faudrait pas le réduire à une explication unique. Pour autant, il ne faudrait pas non plus réduire le hidjab à un phénomène de mode, de norme sociale ou de coquetterie… Il conviendrait aussi de davantage distinguer ses significations en Afrique du Nord et en France. Sa dimension « politique » est peut-être plus forte ici. En toute conscience ou… par ignorance. D’ailleurs, Rachid Benzine souligne que « paradoxalement, le discours moderniste sur l’islam est plus entendu au Maroc qu’ici en Occident. Car ici en France se construit une identité islamique. En France, les jeunes musulmans sont souvent plus réactionnaires que là-bas. Car ils sont loin de leur culture, ils veulent intégrer le religieux, mais ils n’ont pas la culture. » Il y a au moins deux attitudes possibles face à ce livre-enquête qui plonge le lecteur au cœur de l’islam qualifié de « moderne », entendre au cœur d’une « nouvelle Andalousie », où se côtoieraient quelques démocrates, laïques ou laïcisants, ouverts à une éthique de la relation, à une conception de l’identité qui relie plutôt qu’elle ne referme et n’enferme. Faut-il considérer le verre à moitié plein ou à moitié vide ? Boussad Ouadi, encore lui, explique : « Dans notre génération, nous sommes tous laïcs. Mais ceux qui ont trente ans aujourd’hui ont biberonné à l’islam ». A bien lire Nadia Khoury, le biberon aurait tendance a viré au vert islamiste… Au point que même parmi ces nouveaux Andalous, rares sont ceux qui osent ouvertement affirmer comme Salah Zeghidi, le responsable de l’association culturelle tunisienne pour la défense de la laïcité : « l’islam n’est pas notre affaire. Nous voulons réformer l’Etat tunisien (…) ». Alors faut-il faire en sorte d’agir politiquement et de distinguer d’entrée les affaires religieuses des affaires politiques, œuvrer à l’instauration d’un fonctionnement démocratique et d’une société sécularisée ou bien, agir, de l’intérieur, en croyant, à la réforme de l’islam ? Difficile aussi de mesurer « l’écho de cette nouvelle approche de l’islam dans la société ». Dans ce que l’auteur qualifie de « guerre » des musulmans modernes contre l’intégrisme, le rapport des forces est déséquilibré. Pour les islamistes : soutiens financiers, appuis politiques, armada médiatique grosse des envahissantes chaînes satellites et un discours appliqué comme un baume idéologique à des peuples en « état de frustration ». Pour les autres, en revanche, un militantisme de fourmi, dépourvu de soutiens conséquents et qui doit composer avec une pression sociale et une sphère politique indifférente ou hostile. Puisqu’il a été question de « biberon », l’école reste pour beaucoup la réponse à ces deux dernières interrogations. Ces musulmans « contre » l’intégrisme sont des hommes et des femmes, des citoyens qui militent, se battent. A l’écoute des aspirations et besoins, en phase avec une histoire culturelle, ils pensent le devenir de leurs concitoyens à partir de leur société tout en restant à l’écoute du monde. C’est bien ce qui les différencie des islamistes en tout genre, qui nient l’histoire de leur société jusqu’à procéder à un véritable lavage des cerveaux pour sculpter, à la hache, son avenir, armés d’une idéologie et de modèles importés d’un autre temps et d’un autre lieux ! Mustapha Harzoune
Nadia Khoury, L’Islam moderne. Des musulmans contre l’intégrisme, éd. Hugo&Cie, 2009, 254 pages, 17,95 €.