Champs libres : films

Neneh Superstar

Film de Ramzi Ben Sliman (France, 2023)

journaliste, critique de cinéma

Décidément, le thème de la diversité occupe de plus en plus les écrans français. Après Les Miens de Roschdy Zem, Divertimento de Marie-Castille Mention-Schaar, voici maintenant Neneh Superstar de Ramzi Ben Sliman, secondé à la chorégraphie contemporaine - et de quelle manière ! - par Mehdi Kerkouche. L’histoire est celle de Neneh (Oumy Bruni-Garrel, originaire du Sénégal et fille adoptive des deux cinéastes et comédiens Valeria Bruni-Tedeschi et Louis Garrel), issue d’un quartier populaire, en l’occurrence La Courneuve. Elle a tout pour intégrer l’École de danse de l’Opéra de Paris. À 12 ans, elle se présente à l’examen d’entrée, devant un jury où les avis sont partagés quant à une réussite éventuelle parce qu’elle vient de la banlieue et qu’elle est noire de peau.
Elles sont sept sélectionnées, la plupart venant des beaux quartiers de la bourgeoisie hormis le grain de sable que constitue Neneh avec sa carnation, son rapport au jazz et au hip-hop pratiqués assidûment dans sa cité. L’école est dirigée d’une main de fer par Marianne Belage, ex-danseuse étoile, qui tout en critiquant Neneh partage un secret avec elle. De fait, Neneh et la directrice de l’école vont être les personnages dominants de ce récit mené de main de maître par Ramzi Ben Sliman.

En matière de cinéma, ce dernier est loin d’être un novice. Natif de Paris, il a pour père un projectionniste itinérant. Il voit et revoit les mêmes films et la cabine de projection est son école. Il s’initie d’abord à la mise en scène théâtrale en adaptant et dirigeant L’Étranger d’Albert Camus au studio-théâtre 14. Sa connaissance de la direction d’acteurs se vérifie dans son premier long-métrage Ma Révolution, présenté notamment au festival de Berlin et sorti en 2016.
En 2019, pour la 3e scène de l’Opéra national de Paris, il imagine Grand Hôtel Barbès, une fiction de près de 12 minutes mêlant poésie et réalisme ancrée dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris. Tel un Ulysse des temps modernes, il fait preuve de talent et de ruse en brisant les frontières entre danse classique et hip-hop lors d’une battle de breakdance (qu’on retrouvera dans Neneh Superstar). À l’instar de son héros, Ramzi Ben Sliman n’oppose pas tradition et modernité et rend hommage à l’émotion que procure la danse, qu’elle soit sur scène ou dans la rue.

C’est entre juin et août 2021 qu’il réalise Neneh Superstar, son second long-métrage. En mars 2023 sortira Le Jeune imam réalisé par Kim Chapiron, film dont Ramzi a coécrit le scénario avec Ladj Ly, l’auteur multi récompensé des Misérables. Mais il n’y a pas que la mise en scène dans Neneh Superstar. Il y a aussi bien sûr l’indispensable chorégraphie créée par Mehdi Kerkouche, lui-même enfant de la télévision et de l’image, passionné par la scène et la comédie musicale en particulier. Il est enseignant à l’Académie internationale de la danse (AID), ainsi qu’au Studio Harmonic et au Lax Studio à Paris.
Depuis 2017, il développe sa compagnie EMKA et sera même appelé par Aurélie Dupont à signer la pièce Et Si pour les danseurs du ballet de l’Opéra national de Paris.

Mais revenons au film où les réunions se succèdent entre les décideurs de l’Opéra, et au cours desquelles se révèlent des clivages entre les différents membres. Marianne (brillante Maïwenn), directrice de l’école de danse, s’oppose à l’intégration de Neneh dans le ballet qui doit se monter, soutenue par deux des enseignants. Mais le directeur de l’Opéra (Jean- Claude Kahane interprété par Cédric Kahn) défend la jeune danseuse et la maintient dans le groupe. Dès lors, les répétitions s’enchaînent, avec des soucis pour Neneh, dont le rejet provoque des actes de violence que ses parents vont atténuer. Son père, Fred (Steve Tientcheu), la soutient fortement, alors que Martine, sa mère (Aïssa Maïga), est moins enthousiaste pour que sa fille continue la danse. Neneh a une volonté forte, elle plaide pour sa légitimité quand on lui refuse le rôle de Blanche-Neige à cause de sa carnation. Mais, progressivement, la relation entre la directrice de l’école et Neneh va s’améliorer. Mise en scène et chorégraphie enchantent Neneh Superstar et lui donnent une plus-value artistique que le casting remarquable du film porte vers les sommets. Quant à Oumy Bruni-Garel, ses parents peuvent être fiers de sa prestation XXL ! Elle est ici tout à la fois bonne comédienne et danseuse émérite. À la question « Qu’attendez-vous de ce film ? » posée à Ramzi Ben Sliman, voici sa réponse-conclusion : « Qu’il suscite une “génération Neneh” comme il y a eu une “génération Billy Elliot” (film réalisé par Stephen Daldry en 2000). Je serais heureux si un grand nombre
de petites filles noires pouvaient se dire que, oui, elles peuvent danser et percer dans le monde du ballet classique.
»