Angelica

Le père d’Angelica était ouvrier et "aimait beaucoup les femmes". Sa femme, professeur de mode, finit par le quitter et retourne chez sa mère avec ses trois filles. Quand elle entre à l’université en 1969, Angelica choisit des études d’agriculture. "On était trois femmes pour quarante mecs, tous des fils à papa de droite.

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Portrait d'Angelica
© Association Regarde ! - Dobrivoje Arsenijevic, Irène Jonas, Jean-François Noël

Elle est de gauche mais non militante. "J’étais une personne qui critiquait beaucoup… surtout les hommes". Son mari est dans les jeunesses communistes. "Toutes les femmes on était comme ça, on allait là où allaient les hommes. C’était l’amour, on n’était pas la militante carrée, on avait beaucoup de sentiments, et nous c’est avec ces sentiments que l’on a appris beaucoup de choses. En mai 1973, j’ai eu mon fils, c’était « pour la Révolution »."

Le 11 septembre 1973, elle a 22 ans et doit se rendre à l’hôpital. "Je me souviendrai toujours. J’avais un rendez-vous à 10h, je devais avoir une piqure « una al mes » (une par mois) pour éviter de retomber enceinte tout de suite après avoir eu mon bébé. La radio a donné la nouvelle : coup d’État. Et tout de suite on est allés au local du Parti en voiture avec des membres du Parti Communiste qui n’avaient même pas pensé à détruire leurs cartes de militants. Mon compagnon a voulu descendre, je l’en ai empêché. Le local était déjà pris par les militaires et l’autre compañero qui s’y est rendu a été pris et a disparu. On est allés à l’Université du Chili. On était inconscients, j’avais mon fils avec moi, on ne savait pas quoi faire. Les premiers jours on attendait que l’aide vienne de l’Union Soviétique et Cuba..."

De nombreux camarades s’installent chez eux. Elle leur coupe cheveux, moustaches et barbes afin qu’ils soient moins identifiables par les militaires. L’un d’entre eux apporte un petit pistolet et des balles. "Les militaires fouillaient toutes les maisons, je ne voulais pas qu’il arrive quelque chose à mon fils alors je suis partie m’installer chez une copine. Je ne suis rentrée à la maison que lorsque mon compagnon s’est débarrassé du pistolet". Lorsque les militaires font irruption, ils les placent face au mur et renversent meubles et étagères. "Après ils nous ont fait signer un papier comme quoi ils avaient fait une perquisition dans l’ordre et le respect. Ils ont emmené beaucoup de monde du quartier mais pas nous". Par sécurité, elle envoie son fils avec sa sœur à Santiago.

Angelica habite Arica, tout au nord du Chili. Pour aller au Pérou, il n’y a qu’une rue à traverser. Elle propose qu’ils partent, mais le Parti Communiste ne donne pas l’autorisation aux militants de quitter le pays. Ils s’installent alors à Santiago où son mari obtient un poste au théâtre municipal. Ils y vivent de 1974 à 1980. Si elle n’a pas voté pour Allende parce qu’encore mineure, en 1978, comme tous les Chiliens, elle est obligée de prendre le chemin des urnes pour le référendum sur la Constitution. C’était horrible, on était surveillés.

Angelica participe à la résistance. Elle se charge de faire circuler des papiers par le train de Mapucho. Jusqu’au jour où elle est arrêtée, fouillée. "Ils m’ont posé des questions sur des gens que j’avais hébergé deux ans plus tôt, ils m’ont touchée partout, mais je n’ai rien dit. J’étais muette de peur, tétanisée."

Lorsqu’ils reçoivent chez eux la visite d’une femme accompagnée de militaires, sous prétexte de prendre des cours de théâtre, le Parti Communiste décide qu’il est temps pour eux de quitter le Chili. Angelica part la première, son mari et son fils la rejoindront un mois plus tard.

La France, pour Angelica, c’est d’abord une rupture, puis un investissement militant. "Comme tout le monde, on s’est séparés, mon mari et moi. Les hommes étaient tellement contents avec les femmes françaises qui étaient plus libérées que nous, et elles étaient jolies". Elle commence à militer avec les femmes chiliennes et françaises pour le respect des droits des femmes dans le monde. "Au Chili il n’y a pas de la reconnaissance pour les femmes anonymes. Toutes ces femmes de prisonniers politiques qui ont dû nourrir leurs enfants, s’occuper de leur compagnon en prison ou rechercher les enfants ou le mari disparus. Elles ne sont jamais prises en compte au niveau social et politique. Je trouve que c’est dommage et que ce n’est pas juste parce qu’on a fait partie activement de l’histoire. Dans le collectif de femmes chiliennes on était une bonne centaine de femmes et 90% étaient séparées".

La question du retour, Angelica se l’est posée. Mais l’idée que son fils milite au Chili et risque sa vie, l’arrête. "Moi je ne suis pas retournée parce que mon fils était là. C’est peut-être une façon de penser différente des hommes, moins égoïste peut-être. Il était révolutionnaire, je savais ce qu’il risquait s’il militait au Chili".

Après un BTS en électronique et informatique et dix ans de travail dans ce domaine, elle suit des études de médecine chinoise pendant quatre ans, devient assistante de vie pour personnes âgées, puis en milieu scolaire aujourd’hui. Elle partage sa vie avec Edicto depuis 24 ans. Pendant qu’il écrit des poèmes, Angelica écrit des contes pour enfants.

Portrait issu de l’exposition Presentes ! réalisé par l’association "Regarde". Textes et photographies de Dobrivoje Arsenijevic, Irène Jonas, Jean-François Noël.

L'ensemble des portraits est également disponible dans un ouvrage intitulé Presentes ! (ISBN : 9 782322 488070), l'exposition elle sera visible à Massy et à Orly pendant le mois de septembre 2023.

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