La fabrique de l’exil
En septembre 2013, les revues Hommes & Migrations et Rue Saint Ambroise ont célébré les quarante ans de la présence chilienne en France dans le cadre d’une semaine culturelle consacrée au Chili initiée par le Conseil régional d’Île-de-France. Plusieurs tables rondes et témoignages étaient publiés dans ce n° 1305 de la revue, « L’exil chilien en France », en 2014. Dix ans plus tard, il convient de rappeler le caractère exceptionnel de cette migration, par son urgence, ses profils sociologiques, mais aussi le formidable élan de solidarité provoqué par les événements de septembre 1973 et l’action rapide des pouvoirs publics français.
1. Avant l’exil
Si la dynamique migratoire entre le Chili et l’Europe a été marquée, depuis le XVe siècle, par la colonisation espagnole, les migrations de peuplement et l’exil en Amérique latine, les flux migratoires se sont inversés avec le coup d’État de Pinochet. Près d’un million de personnes ont fui la dictature militaire. Parmi elles, 10 à 15 000 ont été accueillies en France entre 1973 et 1989. En juillet 2023, en déplacement à Paris, le président chilien Gabriel Boric a demandé « pardon » au nom de l’État aux Chiliens exilés en France.
Le Chili et les mouvements migratoires
Ricardo Parvex, Hommes & Migrations, n° 1305, « L’exil chilien en France », 2014, pp. 71-76.
Depuis le XVe siècle, l’histoire du Chili s’est construite autour des migrations de peuplement. Constituée au départ par des mouvements de populations internes au continent américain, l’immigration des Européens au Chili commence avec la conquête espagnole. Elle se poursuit notamment aux XIXe et XXe siècles par l’arrivée de populations venues de toute l’Europe cherchant au Chili une terre d’accueil. La dictature de Pinochet va inverser radicalement cette dynamique migratoire.
Le poids de la défaite. Retour sur les origines de l’exil politique chilien (1970-1990)
Franck Gaudichaud, Hommes & Migrations, n° 1305, « L’exil chilien en France », 2014, pp. 9-15.
La prise de pouvoir sanglante du général Pinochet conduit à l’exil des centaines de milliers de Chiliens, parmi eux, les militants de l’Unité populaire, coalition de gauche dont la tête de file était le président Salvador Allende. La dictature militaire a tenté d’expurger, à tous les étages de la société, la mémoire de cette « voie chilienne au socialisme » tout en institutionnalisant la répression et la traque des opposants. De nombreux réfugiés n’auront alors de cesse de dénoncer le régime militaire, de soutenir les actions de résistance sur place et de mobiliser la solidarité internationale.
2. L’accueil en France
L’accueil des réfugiés chiliens en France a bénéficié de conditions favorables liées à un important mouvement de sympathie et de solidarité, notamment de la part des associations, des organisations syndicales et politiques de la Gauche, des intellectuels, des artistes... Du côté des autorités, le gouvernement français donne son accord dès le 28 septembre 1973 pour accueillir des réfugiés en provenance du Chili. Un plan d’urgence est mis en place pour leur prise en charge dans des centres d’hébergement, avec un soutien administratif, une aide médicale gratuite et un apprentissage du français.
L’accueil en France des réfugiés après le 11 septembre 1973
Marie-Christine Volovitch-Tavares, Hommes & Migrations, n° 1305, « L’exil chilien en France », 2014, pp. 49-56.
La réussite notable de l’accueil des réfugiés chiliens en France repose sur un contexte particulier : la solidarité du monde associatif vis-à-vis des opposants à la junte s’est doublée de la bienveillance des autorités françaises. Le système d’accueil performant a concerné tout autant les réfugiés chiliens que les opposants latino-américains qui avaient trouvé refuge dans le Chili d’Allende. Information, hébergement, orientation professionnelle…, tout a été mis en œuvre pour que ces exilés puissent reconstruire leur vie en France.
Réalités sociologiques et politiques des exilés chiliens en France
Nicolas Prognon, Hommes & Migrations, n° 1305, « L’exil chilien en France », 2014, pp. 25-31.
Si l’accueil des Chiliens s’est fait dans des conditions très favorables en France dès 1973, leur intégration n’a pas été aisée. En cause, notamment, le syndrome d’un exil qui se voulait temporaire, la difficulté à trouver de nouveaux repères tant que les réfugiés gardaient les yeux tournés vers leur pays d’origine. Le choix individuel des migrants parmi les statuts qui leur étaient proposés, réfugié, étudiant ou travailleur immigré, a déterminé pour une grande part les modalités de leur socialité en devenir.
L’Ofpra et le traitement des demandes d’asile des Chiliens en France
Aline Angoustures, Hommes & Migrations, n° 1305, « L’exil chilien en France », 2014, pp. 59-68.
La période de l’accueil des réfugiés chiliens, entre le milieu des années 1970 et celui des années 1990, coïncide à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) avec la modernisation de ses pratiques. Face à ce premier flux de demandes extra-européennes d’importance, les personnels de l’Ofpra ont dû modifier leur conception de l’asile et leurs méthodes d’examen des dossiers. Peu à peu va se généraliser l’entretien approfondi avec les demandeurs d’asile. Une façon de saisir au mieux les motivations politiques qui les ont poussés à l’exil et de réaliser les conditions d’un accueil juste et objectif.
Les début de France Terre d’asile
Gérold de Wangen, Hommes & Migrations, n° 1198-1199, « Réfugiés et demandeurs d’asile », 1996, pp. 94-95.
La naissance de France terre d’asile a fait suite au besoin ressenti, en période de crise, de promouvoir et de défendre le droit d’asile, le dernier que l’homme doit pouvoir exercer quand ses autres droits sont bafoués, et dont la violation constitue un indicateur de l’état de santé démocratique d’une société. Dès septembre 1973, l’association prend l’initiative d’impulser une large coordination pour l’accueil des réfugiés du Chili et élabore une proposition de mise en place d’un dispositif d’accueil en Centres provisoires d’hébergement (CPH) pour les recevoir en famille.
Quand les intellectuels français s’engagent. Entretien avec Alain Touraine
Marie Lazaridis, Hommes & Migrations, n° 1305, « L’exil chilien en France », 2014, pp. 105-107.
Le début des années 1970 est marqué par une intense période d’activité du gauchisme politique. Recomposition des partis de gauche, engouement persistant de la génération post soixante-huit pour les mythes révolutionnaires et l’expérience de l’Unité populaire, le climat idéologique est favorable à la solidarité des intellectuels de gauche français à l’égard du Chili, perçu comme une démocratie renversée par une dictature militaire.
3. Le retour au Chili et le post-exil
Longtemps envisagé comme temporaire, l’exil des réfugiés chiliens était limité, au départ, à la chute du dictateur. Mais la construction d’un Chili imaginaire chez les exilés politiques, d’un côté, et le processus de transition démocratique au Chili, de l’autre, vont contribuer à nourrir leur désillusion à l’égard d’une société chilienne qui a évolué en leur absence. Les « retornados » bénéficient d’un accueil mitigé dans leur pays d’origine. Pour ceux restés en France, les attitudes varient entre l’épreuve de l’entre-deux et le double attachement.
De l’exil au retour. Les figures des familles réfugiées politiques et retornadas chiliennes
Fanny Jedlicki, Hommes & Migrations, n° 1270, « Migrations latino-américaines », 2007, pp. 52-62.
Réfugiés politiques dans les années 1970, les exilés chiliens pensaient leur exil provisoire. Entre mythe du retour et idéalisation d’un Chili figé dans le passé, ils se sont malgré tout insérés dans la société française. Avec le retour de la démocratie au Chili et la fin de l’exil politique, 20 à 30 % des exilés décident de rentrer au pays. Ce retour, vécu comme une nouvelle migration, sera pour beaucoup douloureux.
Les exilés politiques chiliens en France, quarante ans après le coup d’État
Mabel Verdi Rademacher, Hommes & Migrations, n° 1305, « L’exil chilien en France », 2014, pp. 41-47.
Il n’y a pas de profil type de l’exilé chilien en France. Au contraire, ils constituent une catégorie hétérogène avec un attachement variable à leur pays d’origine et des modalités différentes de socialisation en France. Ces critères permettent de définir plusieurs groupes parmi eux. Après l’abandon du mythe du retour au Chili, leur installation définitive dans leur pays d’accueil repose sur les liens forts tissés avec leurs compatriotes résidant en France, comme avec l’ensemble de la société française.