Champs libres : films

La Gravité

Film de Cédric Ido (France, 2022)

journaliste, critique de cinéma

Alors que la plupart des films ayant pour cadre l’univers des banlieues évoque l’affrontement entre jeunes des cités et les forces de l’ordre, La Gravité a pour intrigue centrale l’opposition entre la génération des trentenaires et les enfants et adolescents qui constituent la nouvelle force montante au coeur des quartiers, en l’occurrence celle de la ville de Stains en Seine-Saint- Denis. Depuis Les Misérables de Ladj Ly, Prix du jury du Festival de Cannes en 2019, le regard et l’approche sur la problématique des banlieues se sont fortement modifiés. Les auteurs s’inspirent de leur propre histoire en lieu et place d’un récit qui a bien changé depuis La Haine de Mathieu Kassovitz en 1995, qui demeure un film-repère dans les productions centrées sur l’univers des banlieues.

L’ouverture de La Gravité de Cédric Ido, cinéaste franco-burkinabé ayant grandi à Stains après quelques années passées à Ouagadougou, voit la chute, du sommet d’une barre, de deux adolescents dont l’un meurt quand l’autre est condamné à la chaise roulante. Au même moment, un mystérieux alignement des planètes embrase le ciel et inquiète tous les habitants de la cité, sur laquelle règne violemment une bande d’adolescents, les Ronins, reconnaissables à leurs cheveux teints en rouge, et qui voient cet événement planétaire comme la possibilité d’une nouvelle ère.

Ce nouveau gang va affronter le monde des adultes qu’incarnent trois amis d’enfance : Daniel, Joshua et Christophe que le deal et la prison ont séparé. Joshua, sur son fauteuil roulant, continue le trafic de drogue en ayant équipé son engin selon un système ingénieux. Daniel, lui, s’adonne à la course à pied sur un stade d’athlétisme avec un coach (Thierry Godard, révélé par la série Engrenages) qu’il accusera, au cours d’une altercation, de venir puiser dans le vivier des jeunes banlieusards les futurs athlètes stars de demain…

Quant à Christophe, en couple avec Sabrina (Hafsia Herzi, toujours convaincante), il envisage de quitter la cité pour s’expatrier au Canada sur l’injonction de sa compagne. La tension va progressivement monter, d’autant que Christophe nourrit des idées de vengeance suite au décès de son jeune frère survenu il y a dix ans lorsqu’il a chuté de l’immeuble. L’affrontement entre les deux parties va s’avérer inévitable jusqu’à un « fight » d’une rare violence dans les caves, où Joshua transforme son fauteuil selon la technique chère aux super-héros des Transformers.

La Gravité est une histoire de défi, construite comme un film de genre, un « survival ». Selon Cédric Ido : « Il faut survivre dans le monde politique actuel, incapable d’empêcher l’aggravation de la disparité sociale entre les êtres humains, disparité qui va toujours en s’agrandissant. »

Le point de départ de La Gravité est la propre expérience du réalisateur qui confie « avoir grandi en banlieue, à Stains », qui, précise-t-il, était vue comme « une des pires cités de France où il y avait de très nombreux meurtres ». Le cinéaste raconte : « J’ai perdu pas mal d’amis dans les guerres de gangs, des guerres de territoires. Ce qui était, et est important pour moi, c’est d’évoquer des êtres qui m’ont inspiré en tant qu’artiste, révéler à quel point beaucoup d’entre eux étaient talentueux, mais dont le talent n’a jamais pu s’exprimer, n’a jamais été exploité. Ces laissés-pour-compte qui, là encore, se sont confrontés au déterminisme social. Peu importe le talent, il ne sera jamais découvert et, très vite, chaque jeune de ces territoires finit par se persuader qu’il n’existe pas, qu’il n’a rien à apporter à la société. Mon film parle de ceux à qui on a tout enlevé sans rien leur dire. »

C’est ainsi, par exemple, dans La Gravité, que Christophe est doté d’un remarquable coup de crayon et qu’il dessine à profusion avec une qualité certaine. C’est Jean-Baptiste Anoumoun qui endosse ce personnage. Comédien de théâtre, il en apporte discipline et rigueur, ce qui occasionne une saine tension professionnelle pour les scènes avec les autres acteurs aux parcours différents du sien. Leur point commun demeure l’authenticité, accentuée par l’excellente direction d’acteurs de Cédric Ido. Steve Tientcheu (Joshua jeune) a un rôle compliqué, difficile à cerner, car c’est un personnage fragile qu’il incarne, selon le metteur en scène, avec un mélange de vigueur, de surprise et d’abandon qui pourrait s’apparenter à une part féminine… quant à Max Gomis, qui interprète Daniel, il a été découvert par Cédric Ido il y a 15 ans, alors qu’il jouait dans des courts métrages. Son personnage est très convaincant, tout comme celui d’Hafsia Herzi à qui les cinéastes peuvent confier de grands ou de petits rôles et qui transmettra toujours  l’émotion et la crédibilité que l’on attend des personnages qu’elle interprète.

La Gravité s’inscrit dans un cinéma qui produit, sous les meilleurs auspices, une nouvelle génération de cinéastes issus de l’immigration subsaharienne.