Champs libres : films

Le Jeune Imam

Film de Kim Chapiron (France, 2023)

journaliste, critique de cinéma

Pour son quatrième long-métrage, Kim Chapiron a posé sa caméra à Montfermeil, le quartier de son enfance, où il a côtoyé Ladj Ly, coscénariste du Jeune Imam et dont le film Les Misérables (Prix du jury à Cannes en 2019) était déjà filmé au coeur de la cité de Montfermeil en Seine-Saint-Denis.

C’est la population musulmane de ce quartier qui a inspiré Le Jeune Imam, et surtout les faits divers autour des arnaques au pèlerinage de La Mecque qui sont légion en France (le film est d’ailleurs tiré d’une histoire vraie). On compte 6 millions de musulmans dans l’Hexagone et seuls 28 000 d’entre eux se voient délivrés un visa par l’Arabie saoudite… D’où, face à une forte demande, la prolifération de ces agences de voyages qui dépouillent les candidats au « Hadj », résidant en France, de leurs économies qu’ils ont souvent eu le plus grand mal à réunir. Aussi, plutôt que d’opter pour un pamphlet sociopolitique, Kim Chapiron et Ladj Ly ont choisi une démarche intimiste qui met l’accent sur une relation familiale, privilégiant les rapports entre une mère malienne, Madame Diallo qui tient boutique, et son fils Ali, qu’elle envoie au pays à 14 ans suite à des actes de délinquance, notamment des vols d’argent, pour lesquels le punit cette mère modèle, scandalisée par le possible qu’en dira- t-on.

La première partie du film raconte l’adaptation au village d’origine où Ali est repris en main par son oncle, lequel va, de plus, pour le corriger, l’inscrire à l’école coranique où l’adolescent va approcher la foi et la spiritualité musulmanes. Dix ans plus tard, le jeune Ali revient en France où, après avoir tenté avec Corona (Moussa Cissé), son cousin, de monter un business, il décide de remplacer le vieil imam de la mosquée Abdelaziz (Nordine Hassani) en devenant à son tour imam de la cité, malgré les doutes de sa mère auprès de qui il est prêt à tout pour briller. Cette dernière (remarquablement interprétée par Hady Berthe) est toutefois impressionnée par la qualité des prêches de son fils, ainsi d’ailleurs que les croyants qui fréquentent la mosquée. Ils sont d’autant plus conquis qu’Ali psalmodie les versets du Coran de manière convaincante, aidé en cela par sa voix mélodieuse.

Sur le choix du titre Le Jeune Imam, le réalisateur nous répond qu’il s’est imposé très rapidement à lui : « Quand on pense à un imam, nous dit-il, on pense à un homme âgé, expérimenté… donc associer le mot “jeune” à celui d’“imam” ne peut qu’interroger. Un imam est un guide. Or recevoir un savoir ou des préconisations de la part d’un homme jeune interpelle. Quel peut être l’apprentissage d’un tel leader spirituel, comment et pourquoi ses adeptes accepteraient-ils de le suivre ? Et d’un autre côté, il y avait quelque chose de très fondamental qui se jouait, cet imam est de son époque, il parle, intervient sur les réseaux sociaux, ce que ne font pas les générations précédentes. Il était important de montrer ce nouveau traitement de la religion, cette adaptation qui est spécifique à notre monde actuel. On constate, au cours du récit, que l’imam qui a le plus de followers fait autorité pour les plus jeunes, et le film pose la question de comment on construit le religieux, comment toutes ces nouvelles technologies au service de la foi génèrent aussi des dérives telles qu’on pourra le vérifier dans la dernière partie du film… » Ainsi, si l’opération « Omra » (le petit pèlerinage) est couronnée du succès, l’organisation managée par le jeune imam du « Hadj » (le grand pèlerinage) va provoquer la mise en place d’une arnaque montée par une agence bidon. De fait, Ali va commettre une erreur fatale, la faute à son ego et à un orgueil qui vont l’aveugler et susciter la colère des habitants de la cité candidate au pèlerinage, furieux au point d’imaginer que c’est l’imam lui-même qui les a volés.

Kim Chapiron explique à ce propos : « La menace et le danger dans mon film sont liés en général aux erreurs que nous faisons tous dans la vie et que fait le héros par excès d’orgueil, quand il manque de prudence et que, par son inexpérience, il se retrouve au coeur d’une polémique. Son attitude provoque un sentiment d’ambivalence, on l’aime et on le désavoue, puis peut-être finalement on comprendra son parcours. Ali veut faire le bien mais il s’aperçoit qu’on ne peut pas tout contrôler dans la vie. Ce qui lui arrive peut advenir à tous les jeunes gens du monde, quelle que soit leur religion ou leur absence de religion. »

Et Kim Chapiron de conclure : « Pour moi, le film parle d’actes d’amour et de leur portée. C’est l’idée fondatrice de mon histoire, celle qui donne la confiance à Ali et lui permet de déployer son talent. Encore une fois, Le Jeune Imam décrit un monde de nuances. Il s’agit alors de partager des questions et d’y réfléchir en sortant du film. »