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Les Yeux grands fermés. L’immigration en France

Y a t-il trop d’immigrés en France ? Malgré une législation pléthorique et sans cesse renouvelée, les pouvoirs publics ont-ils les moyens de contrôler les flux migratoires ? Ont-ils seulement les moyens de les mesurer et d’en apprécier les effets et les contours ? Faudra-t-il recourir aux migrants pour freiner le vieillissement de la population, rétablir les comptes publics et enrayer les déficits sociaux ? L’immigration favorise-t-elle la croissance ? Quels sont ces effets sur l’emploi, sur le niveau des salaires ? C’est à toutes ces questions, et à quelques autres, que s’applique à répondre Michèle Tribalat.

Y a t-il trop d’immigrés en France ? Malgré une législation pléthorique et sans cesse renouvelée, les pouvoirs publics ont-ils les moyens de contrôler les flux migratoires ? Ont-ils seulement les moyens de les mesurer et d’en apprécier les effets et les contours ? Faudra-t-il recourir aux migrants pour freiner le vieillissement de la population, rétablir les comptes publics et enrayer les déficits sociaux ? L’immigration favorise-t-elle la croissance ? Quels sont ces effets sur l’emploi, sur le niveau des salaires ? C’est à toutes ces questions, et à quelques autres, que s’applique à répondre Michèle Tribalat. Et ses réponses, à chaque fois circonstanciées et rigoureuses, convergent vers deux arguments essentiels : la France ne possède pas l’appareil statistique lui permettant de connaître précisément les volumes et les effets, sur plusieurs générations, des différentes immigrations, d’une part et, d’autre part, l’immigration ne serait une solution ni aux défis démographiques de demain, ni au rétablissement des comptes et de la croissance de la nation. Il est à noter que ce second argument repose sur de nombreuses enquêtes et modèles réalisés à l’étranger (USA et Grande-Bretagne notamment). Ainsi, faute de chiffres mais aussi du fait de la multiplication des définitions, la France mésestimerait non pas tant le volume des flux migratoires que leur nature et leur localisation. Michèle Tribalat rappelle (cela est su, notamment par le gouvernement qui cherche à freiner cette « immigration subie ») que les motifs familiaux constituent la source première des entrées des nouveaux immigrés en France. Parmi ceux-ci il y a bien sûr les regroupements familiaux. Il y a surtout depuis quelques années, le fait de venir rejoindre un conjoint français. Pour l’auteur, cette immigration s’auto-entretient et échappe au contrôle des responsables politiques puisque l’essentiel de ces mariages concerne des unions entre un(e) Français(e) naturalisé(e) et un(e) étranger(e) appartenant au même pays d’origine. Ainsi, « le mariage serait un sésame », notamment pour les communautés algérienne, turque ou subsaharienne. C’est bien parce que ces mariages unissent, pour le meilleur et pour le pire, des hommes et des femmes du même pays d’origine ou du même espace culturel, que Michèle Tribalat refuse de voir dans ces mariages, comptabilisés comme mixtes, un critère d’intégration. Autre temps fort du livre, le constat du déclin de la mixité sociale : marqué par une concentration importante des populations d’origine étrangère en Ile-de-France (elle serait ainsi passée de 16 % à 37 % entre 1968 et 2005), ou la croissance du nombre de jeunes d’origine étrangère dans une ville comme Blois où un tiers des jeunes serait d’origine étrangère contre un sur vingt à la fin des années soixante. Cette concentration géographique se double d’une « ségrégation ethnique » qui condamnent les jeunes d’origine algérienne ou autres à ne pas ou peu pouvoir fréquenter des jeunes « d’origine française ». Voilà qui justifie aux yeux de Michèle Tribalat la nécessité de recourir à des statistiques précises sur la population française d’origine étrangère pour justement mettre en œuvre des politiques sociale, éducative, urbaine… idoines. L’argument ne lève pas la crainte de voir des jeunes Français à part entière, devoir être perçus, sur une, deux voir trois générations comme des Français « entièrement à part ». Et les tripatouillages du code de la nationalité en préparation ne font que grossir de telles craintes. Michèle Tribalat qui ne peut être soupçonnée « d’immigrationnisme », montre que les études européennes ou nord-américaines en arrivent à la conclusion que les incidences de l’immigration sur les comptes publiques, mais aussi sur la croissance, sont quasi inexistantes, dérisoires, marginales. « Globalement, qu’il soit positif ou négatif, l’effet sur les finances publiques est faible, quel que soit le scénario ». Côté méthode, Michèle Tribalat s’appuie sur du lourd. Même si la multiplication des hypothèses fragilise les résultats des modèles économétriques cités, les économistes et autres démographes à l’origine de ces travaux prennent en compte de nombreuses variables pour déterminer l’effet de l’immigration sur les comptes publiques, sur la richesse nationale ou sur les salaires : nombre de générations, distinction entre le court et le long terme, caractéristiques des différentes immigrations, niveau de qualification, âge, sexe, taux d’emploi, fixité ou non de certaines dépenses publiques (comme le budget de la défense), âge d’arrivée dans le pays d’accueil, comportement d’épargne, de consommation etc. Finalement, comme l’écrit Michèle Tribalat « l’immigration prise globalement, ça n’existe pas ». Des distinctions sont à opérer dans le temps, entre les différentes vagues d’immigration comme dans les caractéristiques de chaque migration. Elle rappelle notamment que le niveau de qualification détermine des différences en terme de taux d’emploi et de niveau de rémunération qui expliquent à leur tour, les incidences positives ou négatives sur les comptes de la nation ou sur les rémunérations des nationaux et des immigrés déjà installés. En résumé, l’immigration ne rapporterait rien… mais ne coûterait rien non plus. Conséquente avec elle-même, Mme Tribalat en tire comme enseignement le fait que si l’immigration n’est ni une charge ni une aubaine, on ne peut dès lors prétendre que les immigrés seraient la solution aux problèmes du financement des retraites, au vieillissement de l’Europe ou un recours pour « booster » la croissance. Sur un strict plan statistique certains pourraient retourner l’argument, arguant de la neutralité de l’immigration, prise globalement, pour ne pas s’inquiéter de la présence et de la continuité des flux migratoires. Pour l’heure, comme le souhaitent ou rêvent nombre de gouvernements européens et nord américains, on tente de privilégier une immigration haut de gamme, qualifiée et diplômée, sur le vulgum pecus des migrants… Michèle Tribalat se plaint qu’on ne puise sérieusement et calmement débattre de l’immigration en France. Il n’est pas certain que le ton et la posture qu’elle adopte - seule contre tous - aident justement à débattre avec plus de sérénité et en évitant les amalgames. Récupérée par certains, elle risque de ne pas être entendu par d’autres qui jetteront allègrement le bébé et l’eau du bain. Par ailleurs, si elle met des chiffres sur des phénomènes connus (flux migratoires, concentration spatiale), si elle tire la sonnette d’alarme sur des tendances nouvelles qui échapperaient aux contrôles des Etats (auto-engendrement de l’immigration ou endogamie culturelle des mariages prétendus « mixtes »), il est peut-être abusif de voir dans ce livre des « révélations » cachées. Michèle Tribalat tire à boulets rouges sur les gogos « immigrationnistes », raille le bla-bla des antiracistes, dénonce la conception extensive des droits de l’Homme et les pouvoirs de la Commission européenne. Tous seraient unis pour limiter les capacités d’action des États nations. Elle voit chez les tenants de l’immigration et du métissage, les chantres de lendemains qui chantent qui, à bien la lire, prépareraient des réveils aussi douloureux que les totalitarismes du siècle passé. Ce ne sont là que des points de vue. Des points de vue estimables en soi, défendus avec rigueur et vigueur, mais des points de vue auxquels s’opposent d’autres arguments, tout aussi estimables, jusqu’à preuve du contraire, et défendus par des chercheurs et des spécialistes dont certains sont vertement apostrophés dans le livre (Catherine Wihtol de Wenden ou François Heran). Mustapha Harzoune
Michèle Tribalat, Les Yeux grands fermés. L’immigration en France, édition Denoël, 2010, 222 pages, 19 €.