Nouvelles Routes de la soie et migrations
Dix ans après le discours de Xi Jinping en septembre 2013 à Astana, qui a officialisé le projet géopolitique et géoéconomique chinois des Nouvelles routes de la soie, ce dossier de la revue Hommes & Migrations confronte ce projet aux migrations chinoises. Après « Chinois de France » paru en 2005 et « Migrations chinoises et générations » en 2016, les articles de ce numéro abordent sous différents angles le « tournant chinois » du siècle. En effet, dans un contexte mondial qui peine à se définir à la sortie de la guerre froide, le projet chinois, dont on ne mesure pas encore les conséquences, alimente les débats.
Dès les années 1880, les migrations chinoises débutent, avec notamment la figure du blanchisseur en Californie, dans les villes côtières américaines, et donnent naissance au terme « chinatown ». En France, le champ de l’orientalisme, où la sinologie française a été pionnière, a longtemps contribué au développement des connaissances sur la Chine. Mais, en ce début du XXIe siècle, les connexions entre migrations chinoises et Nouvelles routes de la soie constituent un nouveau champ de recherche que ce dossier tente ici d’appréhender.
L’émergence de plusieurs notions, telles que l’Eurasisme, le Chindia et l’afro-asiatisme, marque la fin du XXe siècle et le début du XXIe. Le nouvel ordre mondial issu de ces vingt dernières années nous conduit à identifier des moments charnière dans la circulation des idées, au travers d’intermédiaires culturels et autres go-between, et les géographies intellectuelles singulières qui en découlent. Les échanges euro-américains sur les migrations, comme l’École de Chicago, cèdent la place aux réflexions sur ces nouvelles routes, à l’instar du transfert des idées du « Sud global » vers les pays du Nord. Ces perspectives animent ainsi les débats qui mobilisent des concepts venus d’Asie, d’Afrique, d’Amérique latine, et les agents sociaux qui y contribuent sont des points clés. Mais quelles disciplines participent plus particulièrement à l’étude des Nouvelles routes de la soie en comparaison avec celles menées sur les migrations ? Comment cet objet est appréhendé et dans quelles régions ?
Du point de vue spatial, les Nouvelles routes de la soie couvrent l’Afrique, l’Europe et l’Asie avec des corridors terrestres traversant l’Asie centrale, le Moyen-Orient, la Turquie et la Russie, du Kazakhstan aux villes turques d’Izmir et d’Istanbul, de l’Asie du Sud-Est à Dakar. Toutefois, dans cette dynamique, des populations locales peuvent aussi ne pas adhérer à ce projet, tels les Baloutchis, les pêcheurs de Gwadar au Pakistan, ou encore les migrants afghans. En outre, les corridors maritimes de l’océan Indien, du golfe Persique, de la Méditerranée et de l’océan Pacifique vers l’Amérique latine, tout aussi importants, sont peu abordés dans les recherches sur les Nouvelles routes de la soie. Quant aux disciplines, ce sont les approches politiques qui prédominent en France, les relations internationales se combinant aux sciences politiques et à la géopolitique critique. Sans oublier la contribution de la presse et des autres médias. En revanche, l’anthropologie et la sociologie participent peu à ces connaissances, ainsi que le courant orientaliste et les postcolonial studies restés en arrière-plan.
Ajoutons enfin que la particularité de ce dossier se situe dans la combinaison des Migration Studies et des Silk Road Studies. Il annonce un processus intergénérationnel avec un renouvellement dans la méthode et le choix des thèses, tout en contribuant également à relancer l’étude de la diaspora chinoise. En outre, ces enquêtes menées dans le cadre des nouvelles routes modifient l’approche classique des migrations. Et il ne s’agit pas uniquement d’un projet économique, mais bien d’un projet de société, projet qui semble perturber l’Occident. Quant à la Chine, l’instabilité politique de plusieurs pays ne manque pas de souligner les fragilités inhérentes à ce programme de grande ampleur.