Éditorial

L’Asie mondialisée ?

Rédactrice en chef de la revue

L'actualité n’est pas le temps de la revue mais guide l’agenda éditorial à moyen terme. L’intensification des crises en cette fin d’année 2023 fragilise nos sociétés à peine sorties de l’épidémie de la Covid-19, dérèglement climatique, enlisement des combats en Ukraine, conflit au Proche-Orient et ses ondes de choc, montée des populismes et de l’extrême-droite en Europe, attaques terroristes, violences policières, antisémites et racistes dans une France divisée, débat houleux sur le projet de loi sur l’immigration. La revue prend acte de tous ces enjeux critiques, au moment où la commémoration des quarante ans de la Marche pour l’égalité et contre le racisme rappelle la dureté d’une réalité traversée par de multiples inquiétudes.

(Re)découvrir l’histoire des migrations asiatiques

La saison Asie du Palais de la Porte Dorée lancée en octobre 2023 invite la revue à (re)découvrir l’histoire des présences asiatiques en France, à la fois ancienne et complexe. Des circulations de commerçants et d’entrepreneurs du XIXe siècle à la mobilisation de soldats et de travailleurs coloniaux lors des deux conflits mondiaux, des mobilités étudiantes venues se former en métropole aux arrivées de réfugiés lors des guerres de décolonisation, sans oublier les migrations chinoises plus récentes, c’est la grande pluralité des origines, (Vietnam, Laos, Cambodge, Chine, Japon, principalement), des profils et des temporalités migratoires qui se cache sous l’image lissée d’une "migration asiatique" peu investie, par ailleurs, par les travaux de recherche. Il y a bientôt un demi-siècle, les boat-people étaient accueillis par un élan de solidarité relayé dans les médias, au moment où la France se fermait à l’immigration de travail. Invisibles dans le récit national, plusieurs générations se mobilisent depuis des décennies pour l’égalité des droits, et contre un "modèle asiatique" associant la réussite d’une immigration silencieuse et travailleuse à des représentations héritées d’un imaginaire colonial. Cette reconnaissance passe par la construction d’un patrimoine commun à l’histoire de la France. S’inscrivant dans une démarche participative, le Musée a lancé une collecte de témoignages et d’objets auprès des populations issues de l’Est et du Sud-Est asiatiques dont la revue publie les résultats. Cette collecte est destinée à enrichir un patrimoine dont le portfolio de ce numéro présente une sélection. La littérature, qui dessine un espace foisonnant de récits et de mémoires des migrations, est traversée de trajectoires asiatiques. Kei Lam, lauréate en 2023 du prix BD de la Porte Dorée, pour son roman graphique Saveur du béton (Steinkis, 2021) évoque le choc familial face à l’irruption, liée à la pandémie, d’un racisme antichinois.

Le « tournant chinois »

Le dossier scientifique porte sur la stratégie culturelle, géopolitique et commerciale de la Chine dans les pays traversés par l’ancienne Route de la soie. Il analyse la manière dont ce projet global cherche à structurer des corridors de développement au bénéfice de l’économie chinoise, en s’appuyant sur les réseaux diasporiques et des migrations impulsées d’en haut pour tisser des solidarités mondialisées et consolider les chantiers d’infrastructures, de délocalisations industrielles et autres investissements. Ce maillage humain joue un rôle clé si l’on observe la relation entre les routes, les circulations et la mise en œuvre des orientations de ces Nouvelles routes de la soie. Le dossier fait apparaître l’extrême hétérogénéité des réalités territoriales qui se construisent au fil de ces routes. Il pointe aussi leurs conséquences sur l’avenir des présences chinoises à l’étranger, en termes d’instabilité économique, de fracture sociale, et de rejet culturel dans le sillage d’une mondialisation de la Chine encore peu appréhendée.

Adieu Mouloud

Hommes & Migrations rend hommage à Mouloud Mimoun décédé dans la nuit du 23 novembre après une longue maladie. Pivot de l’émission Mosaïque et fondateur du festival Le Maghreb des films depuis 2009, il avait mis son talent de journaliste et de réalisateur à profit pour la chronique "Cinéma" dans nos colonnes pendant près d’une décennie, ne boudant pas les films à succès populaire pour nous faire découvrir des perles rares, film d’auteurs intimes ou documentaires sur des sujets audacieux. Sa connaissance érudite du cinéma des pourtours de la Méditerranée et de l’exil va nous manquer, comme sa plume alerte et joyeuse.