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En 1931, 2,7 millions d’étrangers vivent en France, soit 7% de la population. Ils viennent en grande majorité de pays européens, Italie et Pologne en tête. Moins nombreux sont les ressortissants des colonies françaises, étroitement encadrés. En mai, l’ouverture, à Paris, de l’Exposition coloniale internationale célèbre l’Empire. C’est à cette occasion qu’est construit le Palais de la Porte Dorée dont le décor témoigne de la ferveur coloniale de l’époque.
L’année 1931 inaugure aussi une décennie de crises : économique, sociale, politique. Face à la montée du chômage, la protection de la main-d’œuvre nationale devient une priorité. Sous la pression des classes moyennes, un arsenal juridique limite l’accès des étrangers au marché du travail et leur interdit certaines professions. Nombre d’entre eux, privés d’emploi, sont de ce fait privés de papiers en règle et contraints de quitter le pays, refoulés, rapatriés ou expulsés.
Ce protectionnisme se nourrit de xénophobie et d’antisémitisme anciens, exacerbés par l’arrivée de nombreux réfugiés juifs fuyant le nazisme. Au sommet de l’État, certains experts tentent d’imposer une hiérarchie des étrangers selon des origines jugées plus ou moins « désirables ».
En 1936, le Front populaire représente une fragile embellie. Si la solidarité paraît un temps l’emporter, très vite, les tensions internationales ainsi que l’arrivée de nouveaux réfugiés aggravent les fractures de la société française. En 1938, les décrets Daladier inaugurent une période de répression sans précédent à l’encontre des étrangers et menacent la tradition de l’asile.
Repères chronologiques
Près de 2 500 ouvriers de toutes origines et de toutes nationalités travaillent à l’édification des pavillons construits pour l’Exposition coloniale internationale, dont le Palais de la Porte Dorée. Inaugurée en mai, elle marque l’apogée symbolique de « la plus grande France » et de l’Empire.
La loi du 10 août limite le nombre d’étrangers autorisés à travailler en France. Dans les années qui suivent, près de 700 décrets détaillent son application.
Début de la guerre civile espagnole et arrivée des premiers exilés ; les plus démunis reçoivent une aide matérielle. Les réfugiés en provenance d’Allemagne obtiennent une protection internationale sous conditions. Ils peuvent être expulsés au nom de l’ordre public, et leur accès au marché du travail demeure très restreint.
Les décrets-lois pris par le gouvernement d’Édouard Daladier renforcent le contrôle et la surveillance des étrangers ; les possibilités d’infraction se multiplient, parfois très sévèrement punies.
Ordre public et surveillance politique
Les étrangers et les migrants venus des colonies sont étroitement surveillés. À Paris, la préfecture de police instaure un système de fichage qui concerne tous les étrangers. L’importation de conflits politiques extérieurs, la peur du communisme et plusieurs attentats retentissants alimentent la dénonciation des « métèques » et des « fauteurs de troubles ». Les expulsions de militants se multiplient. Les ligues nationalistes comme l’extrême droite prospèrent sur ce terreau, laissant libre cours à leur xénophobie et à leur antisémitisme. À gauche, la Ligue des droits de l’homme, notamment, se mobilise pour défendre l’État de droit mais partis et syndicats n’évitent pas toujours la tentation du repli.
Crise économique et préférence nationale
Avec la crise, le protectionnisme devient la règle. En 1932, une loi limite l’accès des étrangers au marché du travail. Portées par la défiance envers la République et l’hostilité aux « métèques », les classes moyennes se mobilisent contre la concurrence étrangère.
Médecins et avocats imposent l’interdiction de leurs professions aux non-nationaux et aux naturalisés récents. Les artisans puis les commerçants obtiennent la soumission des étrangers au régime de la carte d’identité de travailleur. Or, qui perd son emploi perd souvent sa carte d’identité, donc son droit au séjour. Nombre de licenciements conduisent à des refoulements et des rapatriements auxquels s’ajoutent les départs volontaires de ceux qui sont poussés dans l’illégalité.
Les Étrangers en France, de Georges Mauco
La thèse du géographe et psychologue Georges Mauco, Les Étrangers en France, publiée en 1932, devient une référence pour certains hauts fonctionnaires et experts de l’immigration. Ils souhaitent sélectionner les candidats au séjour ou à la naturalisation en fonction de leurs origines et selon une hiérarchie : au sommet, les Nordiques jugés les plus assimilables ; à l’opposé, les Africains, les Orientaux et les Juifs.
La France travaille (série), François Kollar
En 1931, François Kollar entame un inventaire photographique de la France au travail. En trois ans, ses images dessinent une véritable fresque, entre modernité et tradition, paysages ruraux et décors industriels. Alors que le pays bascule dans la crise, François Kollar brosse le portrait d’une France d’équilibre, unie et laborieuse. La condition d’étranger lui importe peu. Dans La France travaille, une seule image signale l’origine du travailleur : celle d’un mineur marocain de Saint-Étienne.
Solidarités inachevées
Au printemps 1936, le Front populaire réunit travailleurs français, étrangers et coloniaux dans les grèves et les manifestations. À gauche, partis et syndicats se mobilisent pour aider et accueillir les réfugiés allemands et espagnols. Mais cette solidarité est de courte durée.
Le gouvernement ne renonce ni au protectionnisme, ni aux expulsions, même s’il fait preuve de libéralisme dans leur application. En 1937, des étrangers sont impliqués dans une série de crimes et d’attentats qui suscite un raidissement de l’opinion. Les revendications hitlériennes, la montée des dictatures et l’arrivée de nouveaux réfugiés divisent un peu plus le pays. En 1938, après la chute du Front populaire, les décrets-lois Daladier ouvrent une période d’incertitude, de menace et de précarité pour les étrangers.
Après l’attentat contre Léon Blum
Le 13 février 1936 à Paris, le chef des socialistes français, Léon Blum, croise des partisans de l’Action française – un mouvement royaliste et nationaliste – venus assister aux obsèques de l’académicien Jacques Bainville. Léon Blum, parce qu’il est juif, suscite, chez eux, comme dans l’ensemble de l’extrême droite, une véritable haine. Il incarne « l’Autre » et, allié des communistes, le « Rouge ». Désigné depuis des mois à la vindicte publique, il est ce jour-là roué de coups et blessé mais parvient à s’échapper. Avec cet attentat, l’antisémitisme franchit un nouveau cap.
La dissolution de l’Étoile nord-africaine
L’Étoile nord-africaine est fondée en France en 1926 par un noyau de travailleurs immigrés algériens et d’étudiants tunisiens, en lien avec le parti communiste. Celui qui devient son charismatique leader, Messali Hadj, oriente les combats contre le Code de l’indigénat et pour l’indépendance de l’Algérie. Dissous en 1929 puis reconstitué, ce parti indépendantiste de quelques milliers d’adhérents participe au défilé du Front populaire, le 14 juillet 1936. En janvier 1937, il est à nouveau interdit mais est vite remplacé par le Parti du peuple algérien. En novembre, Messali Hadj est condamné à deux ans de prison pour reconstitution de ligue dissoute.
Les décrets Daladier
En 1938, les décrets-lois du gouvernement d’Édouard Daladier alimentent la mécanique d’exclusion à l’encontre des étrangers. Si quelques garanties sont accordées aux mieux établis ainsi qu’aux réfugiés déjà installés, les textes soumettent l’entrée et le séjour réguliers à des conditions drastiques. Les infractions sont souvent punies de sanctions très fortes : refoulements, expulsions, emprisonnement, internement administratif. Par leur sévérité, les décrets fabriquent des illégaux dénoncés comme « indésirables », sans freiner pour autant l’arrivée de nouveaux réfugiés, dans un climat de grande tension internationale. Ces derniers trouvent néanmoins dans la population, dans les associations et parfois dans l’administration un certain nombre de soutiens.
La France, empire colonial
Durant l’entre-deux-guerres, la France, forte de sa victoire sur l’Allemagne en 1918 mais affaiblie par l’hécatombe de la Première Guerre mondiale, voit dans son empire un atout pour se maintenir au premier rang des puissances mondiales. Les possessions impériales apparaissent comme un réservoir d’hommes et de matières premières. « La plus grande France » s’impose comme l’un des slogans de l’Exposition coloniale internationale de 1931. La disparition de l’Empire ottoman pousse aussi le pays à se présenter comme une « puissance musulmane » afin d’en tirer profit dans les relations diplomatiques. Outre-mer, la France rémunère de nombreux agents d’institutions islamiques (écoles, tribunaux, mosquées…), espérant ainsi les contrôler.