Parcours

91962

Reconstruction, décolonisations et migrations

Dans l’immédiat après-guerre, alors que le nombre d’étrangers en France a sensiblement diminué (retours au pays et naturalisations), un nouveau cycle migratoire s’amorce : de 1947 à 1975, le nombre d’étrangers sur le territoire double, passant de 1,7 millions à 3,4 millions.

Il s’agit, dans un premier temps, de main-d’œuvre étrangère peu qualifiée participant à la reconstruction de la France et à la croissance économique des « Trente Glorieuses ».

Puis, dans le contexte de la guerre froide, des réfugiés fuyant des pays communistes ou des dictatures trouvent asile en France.

L’indépendance de l’Algérie le 5 juillet 1962, au terme de huit années de guerre, est, elle aussi, à l’origine d’un vaste mouvement migratoire : on compte 1 million de Français rapatriés d’Algérie vers la métropole (dont 80 % en 1962). C’est l’exode le plus massif qu’ait jamais connu la France.

Après les indépendances africaines, l’attitude de l’Hexagone envers ses anciens colonisés, désormais appelés « travailleurs immigrés », est ambivalente : si elle fait preuve d’une certaine méfiance, elle ne souhaite pas pour autant les traiter comme des étrangers ordinaires et envisage de leur conférer certains droits spécifiques. L’immigration européenne, même irrégulière, reste néanmoins privilégiée.

Au sein de la société, les étrangers sont de plus en plus visibles : leurs conditions de vie précaires (bidonvilles ou meublés insalubres) suscitent de nouveaux engagements et de nouvelles mobilisations.

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Photographie de Gérald Bloncourt. Scène représentant la file d'hommes pour l'embauche à l'usine Citroën de Paris
Gérald Bloncourt, Scène représentant la file d'hommes pour l'embauche à l'usine Citroën de Paris, 1965, Musée national de l'histoire de l'immigration, Inv 2007.23.1
© EPPPD-MNHI

Repères chronologiques

5 juillet 1962

Indépendance de l’Algérie. Exode de plus de 800 000 Français et Européens d’Algérie qui viennent s’installer en métropole (les « rapatriés »).

1963

Création du Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer – La Réunion, Guadeloupe et Martinique (Bumidom). Il sera dissous en 1981.

1963-1965

Accords de main-d’œuvre avec le Maroc, le Portugal, la Tunisie et la Yougoslavie.

1965

Le bidonville de Champigny-sur-Marne atteint sa taille maximale : il abrite près de 15 000 habitants, très majoritairement portugais.

 


 

L’indépendance de l’Algérie

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Pierre Boulat, La vie des Nords-Africains de Paris, 1955
Pierre Boulat, Paris-La Goutte d'or, La vie des Nord-Africains de Paris, 1955 (titre de la série), tirage photographique sur papier baryté, 30 cm x 40 cm, Musée national de l'histoire de l'immigration, inv. 2012.22.5
© EPPPD-MNHI, © Pierre Boulat/Association Pierre & Alexandra Boulat

Le 5 juillet 1962 est un jour de fête dans les quartiers des grandes villes françaises où résident de nombreux Algériens : après huit années de guerre, et cent trente-deux années de colonisation, l’Algérie est indépendante. Plus de 9 millions de « Français musulmans » sont amenés à devenir Algériens. Au même moment, près de 1 million d’Européens fuient l’Algérie pour la métropole.

Seule une petite minorité des 400 000 Algériens qui se trouvent en France à cette date optent pour la nationalité française. La population immigrée algérienne, très engagée dans la lutte pour l’indépendance, a subi des années de répression policière et a aussi connu, en son sein, de profondes divisions.

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Contrôle d'identité dans le "douar" de Gennevilliers. Extrait de la série "Les Nord- Africains de Paris, 1955". © Pierre Boulat / Cosmos /Musée national de l'histoire et des cultures de l'immigration.
Pierre Boulat, Fouille dans le bidonville de Nanterre, La vie des Nord-Africains de Paris, 1955 (titre de la série), tirage photographique sur papier baryté, 30 cm x 40 cm, Musée national de l'histoire de l'immigration, inv. 2012.22.9
© EPPPD-MNHI, © Pierre Boulat/Association Pierre & Alexandra Boulat

Affrontements en métropole

L’immigration algérienne représente un véritable enjeu dans la lutte qui oppose le Mouvement national algérien (MNA ; implanté de longue date) au Front de libération nationale (FLN ; en lutte armée contre l’occupation française depuis 1954). En métropole, ces affrontements ont fait plus de 4 000 victimes parmi les immigrés algériens.

Le FLN lève aussi, auprès d’eux, un « impôt révolutionnaire » qui financera le Gouvernement provisoire de la république algérienne (GPRA, septembre 1958). Pour contrecarrer l’hégémonie du FLN, les forces de l’ordre françaises mènent une violente répression.

« Graciez les condamnés »

Dès le début de la guerre, les camps d’internement d’indépendantistes font partie de l’arsenal répressif utilisé en Algérie. À partir de 1958, ils sont déployés en métropole et permettent d’enfermer, sans condamnation judiciaire, de simples suspects d’« atteinte à la sécurité extérieure ». Des dizaines de milliers d’immigrés passent par les camps de Vadenay, Thol, Saint-Maurice-l’Ardoise ou du Larzac. Dans les prisons, les nationalistes algériens entament des grèves de la faim afin d’obtenir le statut de « détenus politiques ».

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Eric Manigaud - Elie Kagan 3
Éric Manigaud, Elie Kagan #3, 2018, crayons et poudre graphite sur papier, 124 cm x 169 cm, Musée national de l'histoire de l'immigration, inv. 2018.143.1
© EPPPD-MNHI, © Eric Manigaud. Courtesy de l'artiste et de la galerie Sator, © Adagp, Paris, 2021

Le 17 octobre 1961

Afin de protester contre un couvre-feu visant les seuls « travailleurs musulmans algériens », le FLN appelle à des « démonstrations de masse ». Le 17 octobre au soir, plusieurs dizaines de milliers d’Algériens tentent d’emprunter, en cortège, les grandes artères parisiennes. 12 000 d’entre eux sont arrêtés et conduits vers des lieux d’internement improvisés : palais des sports, parc des expositions… La répression tourne au massacre : des dizaines de cadavres sont jetés dans la Seine.

Décolonisations

L’Exposition coloniale de 1931 avait mis en valeur la « plus grande France ». Avec les décolonisations, l’empire aux 100 millions d’habitants est désormais réduit à la « France métropolitaine » ainsi qu’aux départements et territoires d’outre-mer. Entre 1954 et 1975, des dizaines de millions de personnes jusqu’alors françaises (sans pour autant bénéficier, pour la plupart, d’une pleine citoyenneté) accèdent à de nouvelles nationalités : vietnamienne, algérienne, comorienne… Des Européens sont « rapatriés » d’Indochine en 1954, d’Égypte en 1956 ou d’Afrique du Nord entre 1955 et 1962. Leurs auxiliaires locaux, civils ou militaires, peinent à trouver leur place dans ces transferts de population et connaissent des conditions d’accueil particulièrement difficiles.

Parcours de vie : Fodé Kaba, étudiant guinéen en France au moment des indépendances africaines

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Le don de Fodé Kaba : le sauf-conduit
Laissez-passer officiel qui a permis à Fodé Kaba de retourner en règle en Guinée en 1975 © Photo : Anne Volery, Palais de la Porte Dorée

Fodé Kaba est étudiant en France lorsque la Guinée devient indépendante en 1958. Du jour au lendemain, il devient un étranger. Aux conséquences matérielles de ce changement s’ajoutent des réactions hostiles : le nouveau président guinéen, Sékou Touré, a en effet refusé d’intégrer la communauté franco-africaine proposée par le général de Gaulle.

Désireux de participer à la construction de son pays, Fodé Kaba rentre en Guinée en 1968, accompagné de sa femme française et de leur fille. Confrontée à la suspicion ainsi qu’à la dureté du régime, la famille renonce rapidement à s’y établir. Fodé Kaba, interdit de sortie, est contraint de quitter le pays doté de faux papiers. Il revient en France où il est rapidement naturalisé. Il retournera par la suite en Guinée, une fois clandestinement en 1983 puis, après la mort de Sékou Touré (1984), pour des vacances.

Découvrir l'intégralité du parcours de vie de Fodé Kaba
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Photographie de Paul Almasy, Arrivée de rapatriés dans le port de Marseille, 1962
Paul Almasy, Arrivée massive de rapatriés dans le port de Marseille, 1962, Musée national de l'histoire de l'immigration, Inv 2007.49.1
© EPPPD-MNHI

« Rapatriés » et « rapatriements »

« Rapatriés » et « rapatriements » : ces termes correspondent à des catégories administratives utilisées dans le cadre des décolonisations.

Les « rapatriés » peuvent être des fonctionnaires, des descendants de colons installés depuis plusieurs générations, des élites francophones liées à la métropole ou des populations juives naturalisées. La majorité d’entre eux n’avait jamais vécu en métropole, à l’instar des « pieds-noirs » d’Algérie dont on estime qu’ils sont 1 million à venir s’installer en métropole entre 1961 et 1963.

La relégation des harkis

Le terme « harkis » désigne l’ensemble des Algériens qui ont servi dans l’armée ou l’administration française pendant la guerre d’indépendance. À la fin de celle-ci, en particulier lors de l’été 1962, des milliers d’entre eux sont victimes de violences et de représailles. De leur côté, les autorités françaises cherchent à limiter le départ de ces populations menacées.

Une partie des 20 000 harkis et des membres de leurs familles, transférés en France en 1962, sont cantonnés pendant des années dans des centres de transit et des villages forestiers.

Le Bumidom

C’est à la suite de l’indépendance de l’Algérie et dans la perspective d’avoir à affronter de nouveaux mouvements autonomistes qu’est créé le Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer. Le Bumidom entend limiter la croissance démographique de la Guadeloupe, de la Martinique et de La Réunion, jugée excédentaire, et répondre au besoin de main-d’œuvre en métropole. Cette immigration organisée par les pouvoirs publics a concerné environ 70 000 personnes, soit la moitié de celles venues d’outre-mer en métropole pendant cette même période.

Les enfants réunionnais « de la Creuse »

Entre 1962 et 1984, plus de 2 000 enfants réunionnais, relevant prétendument de la Protection de l’enfance, sont arrachés à leurs proches par le Bumidom et envoyés en métropole pour y être adoptés ou placés dans 83 départements, en priorité ceux qui sont en déficit démographique. La Creuse, où se trouve le foyer de premier accueil, en reçoit plus de 200. Certains enfants vont rester dans des foyers ou être utilisés par les familles comme main-d’œuvre agricole non rémunérée. Au début des années 2000, des victimes ont intenté des actions contre les autorités françaises. En 2014, l’Assemblée nationale reconnaît la « responsabilité morale » de l’État et en 2016 est établie une commission d’information pour faire toute la lumière sur cet exil contraint.

O Salto, l’immigration portugaise

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Photographie de Gérald Bloncourt. Immigré qui arrive du Portugal, transit à Hendaye, dans le train.
Gérald Bloncourt, Flot d’immigrés qui arrivent du Portugal, transit à Hendaye, dans le train, 1965, Musée national de l'histoire de l'immigration, Inv 2006.287.1
© EPPPD-MNHI

Sorti en 1967, le film O Salto (« Le saut ») raconte l’exil de Portugais qui, fuyant la conscription et les guerres coloniales, franchissent les frontières espagnoles et françaises de manière irrégulière.

À partir de 1964, ces entrées clandestines, désapprouvées par la dictature de Salazar, sont tolérées par la France et assorties d’un processus de régularisation mis en place dès l’arrivée en gare d’Hendaye. À ces migrations s’ajoutent celles qui sont organisées dans le cadre de l’accord de main-d’œuvre avec le Portugal. Les autorités françaises cherchent ainsi à favoriser l’arrivée de Portugais.

De la fin des années 1950 au milieu des années 1970, le nombre de Portugais en France passe de 20 000 à 750 000 : c’est à cette époque la communauté étrangère la plus nombreuse sur le territoire.

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Photographie de Paul Almasy. Rangées de boites aux lettres dans le bidonville de Champigny.
Paul Almasy, Le bidonville portugais de Champigny-sur-Marne, 1963, Musée national de l'histoire de l'immigration, inv 2007.43.1
© EPPPD-MNHI

Le bidonville de Champigny-sur-Marne

L’immigration portugaise ne s’est pas faite sans heurts. Aux conditions d’accueil particulièrement difficiles dont témoigne le bidonville de Champigny-sur-Marne s’ajoutent des réactions xénophobes. Les autorités françaises ont néanmoins cherché à viabiliser les bidonvilles portugais, alors que ceux qui étaient peuplés de «Nord-Africains» étaient voués à l’abandon ou à la destruction.

Soutiers de la croissance

À partir du milieu des années 1950, la France vit une période de forte croissance économique. L’industrie est d’autant plus en quête de main-d’œuvre que des centaines de milliers d’appelés du contingent sont accaparés par la guerre d’Algérie. L’immigration spontanée, notamment depuis l’Italie ou l’Algérie, ne suffit plus à combler les besoins en main-d’œuvre précaire. Dans cette perspective, des accords sont conclus avec plusieurs pays comme le Maroc, la Yougoslavie et le Portugal dès le début des années 1960. Contrairement aux enfants issus de la classe ouvrière française qui connaissent, à cette époque, un début de mobilité sociale favorisé par l’allongement de la scolarité, les immigrés ne profitent que peu de l’amélioration des conditions de vie. Ils demeurent aux marges de la société salariale.

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Photographie de 7 hommes en habit de travail, sur un chantier
Anonyme, Photographie de 7 hommes en habit de travail, sur un chantier, 1963, Musée national de l'histoire de l'immigration, inv 2010.14.7.1
© EPPPD-MNHI

Parcours de vie José Baptista de Matos

José Baptista de Matos naît au Portugal en 1934. Au début des années 1960, vivant sous la pression du régime dictatorial de l’Estado Novo (1933-1974), il se résout à l’exil par souci de l’avenir de ses enfants. C’est ainsi qu’en 1963, muni d’un visa de tourisme, il part seul en France où il trouve d’abord refuge dans le bidonville de Champigny-sur-Marne où vivent plus de 10 000 Portugais. Quelques années plus tard, il parvient à faire venir sa femme et ses enfants. Embauché dans les travaux publics, il accède à des fonctions de cadre technique à la RATP. Il consacre trente ans de sa vie aux chantiers du métro et du RER.

Découvrir le parcours de vie de Baptista de Matos
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Photographie de Pierre Boulat, une famille de Nords-Africains de Paris dans un HLM, 1955
Pierre Boulat, La vie des Nords-Africains de Paris, 1955, Musée national de l'histoire de l'immigration, inv 2012.22.4
©EPPPD-MNHI

L’accès aux HLM

L’accès à une habitation à loyer modéré (HLM) améliore le logement des ouvriers et des classes moyennes. En 1959, le Conseil supérieur des HLM décrète que chaque organisme peut « poser le principe de la nationalité française obligatoire et se réserver le droit d’examiner les cas d’étrangers spécialement intéressants », visant à restreindre l’accès des étranges à ces logements alors même qu’aucune condition de nationalité n’est inscrite dans le droit.

La proportion des étrangers dans ces logements, qui était jusqu’alors représentative de leur poids dans la population totale, augmente dans les années 1970.

En savoir plus : le bidonville de Nanterre

Avec le bidonville de Champigny-sur-Marne, le bidonville de Nanterre est le 2e grand bidonville de la région parisienne. Retrouvez un ensemble de ressources racontant la vie au bidonville de Nanterre.