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L’intégration européenne transforme en profondeur les enjeux migratoires et d’asile en France. De Schengen à Dublin, le principe d’un régime de mobilité qui distingue Européens et non-Européens se renforce. La convention de Schengen, entrée en vigueur en 1995, institue un espace de libre circulation, sans passeports ni contrôles. En 2023, cet espace comprend 27 pays, dont 23 sont membres de l’Union européenne. Les parcours migratoires des Européennes et des Européens sont désormais plus flexibles et les mobilités deviennent un puissant moteur d’intégration européenne. Mais cette intégration est à géométrie variable. Ainsi, certains pays membres de l’Union européenne comme l’Irlande, Chypre, la Bulgarie et la Roumanie ne font pas partie de l’espace Schengen.
En contrepartie de la libre circulation, l’Union européenne renforce ses frontières externes. Elle crée en 2004 l’agence Frontex, chargée de les surveiller. Les États membres signent des accords de réadmission avec les «pays tiers» et multiplient les opérations de rétention ou d’expulsion. Ce renforcement de la frontière extérieure à l’est et au sud s’inscrit dans la définition d’une politique commune d’asile et d’immigration. En vertu de la convention de Dublin de 1990, l’examen de la demande d’asile est confié désormais au premier État membre par lequel le migrant est entré dans l’espace européen.
En France, le durcissement des conditions de séjour et d’asile entraîne de nouvelles mobilisations au fil des années 1990. La question de la stigmatisation et du racisme dont sont l’objet les descendants d’immigrés surgit de façon récurrente dans le débat public. Les initiatives économiques, politiques et culturelles des immigrés sont nombreuses. Certains développent des relations intenses avec leur pays d’origine ou celui de leurs parents.
Repères chronologiques
Entrée en vigueur de l’accord assurant la libre circulation des personnes et la levée des contrôles à l’intérieur de l’espace Schengen. Cet accord pose le principe de la libre circulation des Européens, en contrepartie d’un contrôle des frontières externes.
23 août : évacuation par les forces de l’ordre de 210 sans-papiers qui occupaient l’église Saint-Bernard, dans le 18e arrondissement de Paris.
21 avril : Jean-Marie Le Pen, candidat du Front national atteint le second tour des élections présidentielles. Un an plus tard, Jacques Toubon est chargé de présider une mission de préfiguration pour un « centre de ressources et de mémoire de l’immigration » destiné à changer les regards et les mentalités au sujet des phénomènes migratoires.
Émeutes de Clichy-sous-Bois, en réaction à la mort de deux adolescents, Zyed Benna et Bouna Traoré, électrocutés dans un poste électrique en tentant d’échapper à un contrôle de police. Des émeutes éclatent dans plusieurs banlieues durant près de trois semaines, amenant à l’instauration d’un couvre-feu dans de nombreux départements et communes.
Ouverture au Palais de la Porte Dorée de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration.
L’écrivain Atiq Rahimi, né en Afghanistan en 1962, réfugié en France en 1985 et naturalisé français en 1996, obtient le prix Goncourt.
Circulations européennes et élargissement à l’Est
La chute du mur de Berlin puis l’élargissement progressif de l’Union européenne vers l’est constituent un tournant : les dissidents et migrants d’hier sont dorénavant européens.
Le programme Erasmus, lancé en 1987, permet à des millions d’étudiants européens d’effectuer une partie de leur formation dans un autre pays, contribuant ainsi à l’émergence d’une génération européenne. Plusieurs centaines de milliers d’enfants seraient nés de ces rencontres entre jeunes Européens.
En France, l’intégration des pays d’Europe centrale et orientale dans l’Union européenne ne se fait pas sans grincement de dents. En 2005, lors de la campagne électorale relative à l’adoption du traité constitutionnel européen, la figure épouvantail du « plombier polonais » venu pour travailler à bas coût avec une protection sociale amoindrie incarne la menace d’une concurrence européenne dérégulée. Pourtant, bien que certains de ces migrants soient employés en France dans différents secteurs, beaucoup d’entre eux sont davantage attirés par l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, l’Espagne ou la Grande-Bretagne.
Durcissement des conditions de séjour et d’asile
Au fil des années 1980, des visas d’entrée sont imposés aux voyageurs étrangers venus de pays en voie de développement. Ces visas deviennent, en 1995, les « visas Schengen ». La libre circulation est réservée aux ressortissants des pays occidentaux ou aux détenteurs d’un titre de séjour en France.
Entre 1978 et 1990, la part de décisions positives après l’examen des demandes d’asile par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) passe de 90% à 15%. Si plusieurs facteurs ont joué dans cette crise (fin de la guerre froide et de l’accueil de dissidents du bloc de l’Est, enjeux diplomatiques entre la France et des pays tiers), les chiffres révèlent également une méfiance à l’endroit des demandeurs d’asile. Elle touche particulièrement les personnes venues d’Afrique et du Moyen-Orient.
Les luttes des travailleurs sans papiers
Les grèves et les occupations de locaux sont les formes les plus fréquentes de mobilisation des travailleurs sans papiers, souvent installés en France depuis longtemps. Aux premières luttes des années 1970 viennent s’ajouter des mouvements qui font date, comme ceux des travailleurs turcs du Sentier en 1980 ou, au début des années 1990, l’intense mobilisation autour de demandeurs d’asile déboutés. En 1996, des églises, symboles d’hospitalité, sont occupées : Saint-Ambroise puis Saint-Bernard à Paris. Cette dernière est évacuée manu militari le 23 août. De nombreux collectifs et associations, nationaux ou locaux, communautaires ou de descendants d’immigrés, participent aux mobilisations, qu’elles soient humanitaires ou politiques.
Circulations et enracinement
À leur arrivée, les migrants cherchent souvent la compagnie de leurs compatriotes. Des quartiers chinois, maghrébins, turcs apparaissent dans les grandes villes. Il s’agit de lieux d’achat, mais aussi d’espaces de solidarité et de sociabilité importants. Pour les personnes installées en France, de multiples formes de mobilités se mettent en place avec le pays d’origine. La vie s’organise parfois entre deux pays, ici et là-bas, que l’on habite l’un et l’autre, chacun à sa manière, grâce à la construction d’une résidence secondaire ou à l’entretien d’une maison de famille. Les relations avec le pays natal sont rythmées par les saisons, les nécessités, les joies et les rituels de la vie familiale et communautaire.
Tonton du Bled
En 1999, le groupe de rap français 113 sort son premier album, Les Princes de la ville. Les trois rappeurs de Vitry-sur-Seine évoquent le quotidien de la vie de quartier mais également leurs origines. Le titre Tonton du bled raconte avec humour les liens que les enfants d’immigrés entretiennent avec le pays de naissance de leurs parents, souvent découvert lors des vacances d’été. Vendu à plus de 350 000 exemplaires, ce disque est consacré Meilleur album rap de l’année aux Victoires de la musique en 2000 et devient culte dans l’histoire du rap.