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À partir de 2011, dans le sillage des révolutions du Printemps arabe et des guerres en Libye et en Syrie, des centaines de milliers de personnes arrivent aux portes de l’Europe après avoir traversé la Méditerranée. Parmi les exilés qui traversent la France, nombre d’entre eux espèrent rejoindre le Royaume-Uni ou l’Europe du Nord. D’autres s’établissent en France et y déposent une demande d’asile. Les réactions des États européens sont contrastées, mais c’est la fermeté qui prime. En mars 2016, ils signent un accord financier avec la Turquie, qui l’engage à retenir sur son sol la majorité des demandeurs d’asile.
Durant cette période, la France continue d’accueillir les migrations ordinaires (travail, regroupement familial, études). La mondialisation contribue par ailleurs à diversifier les pays d’origine des immigrés (Europe, mais aussi Afrique et Asie). La plupart d’entre eux sont en situation régulière, tandis que ceux qui n’ont pas de papiers espèrent être régularisés au cas par cas. Des mobilisations collectives, par exemple des grandes grèves de travailleurs sans-papiers, contribuent à la prise de conscience de la nécessité de régulariser.
La libre circulation des ressortissants européens bénéficie surtout aux Portugais et aux Italiens. À l’approche du Brexit, qui scelle la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne en 2020, les demandes de naturalisation française des Britanniques augmentent.
La société française est le produit de sa longue histoire migratoire. Si la plupart des immigrés et de leurs descendants finissent par s’enraciner dans la société, ils restent victimes de nombreuses discriminations.
Pascale Consigny, entre 2016 et 2017, Musée national de l'histoire de l'immigration, Inv. 2018.4.4
Repères chronologiques
Des centaines de milliers de personnes, provenant en majorité de Syrie, atteignent la Grèce. L’Allemagne affiche sa volonté d’accueil en enregistrant 800 000 demandes d’asile. Cette même année, l’image d’Alan Kurdi, un petit garçon syrien retrouvé échoué sur une plage de Turquie, provoque une onde de choc émotionnelle sans lendemain, en Europe et dans le monde.
18 mars : les États européens signent un accord financier avec la Turquie, qui l’engage à retenir la majorité des exilés syriens arrivés sur son sol et à reprendre ceux ayant réussi à traverser la frontière turco-grecque.
Mars : le gouvernement français lance une plateforme de parrainage permettant aux citoyens de se mobiliser pour l’accueil des Ukrainiens en France.
Accueil et hostilité aux frontières
En vertu du règlement de Dublin, les demandeurs d’asile sont généralement tenus de faire leur demande au sein du premier pays qu’ils ont atteint - le plus souvent, la Grèce, l’Italie, l’Espagne.
Dans les faits, les parcours se prolongent vers d’autres pays, multipliant ainsi les situations d’irrégularité. En 2016, la « jungle » de Calais est évacuée : il s’agit d’un vaste campement informel, dans lequel des migrants, rejoints par des ONG et des militants, s’étaient installés en attendant l’occasion de rejoindre clandestinement la Grande-Bretagne. Le gouvernement ordonne aussi la dispersion des campements parisiens. Les personnes ainsi « évacuées » sont conduites dans des centres d’accueil plus éloignés des frontières.
En milieu rural comme dans les villes-refuges, les bénévoles multiplient les actions pour accueillir et soutenir les demandeurs d’asile comme les mineurs non accompagnés, que ce soit près des frontières ou sur d’anciennes routes migratoires réactivées. Aux frontières méridionales de l’Europe, la traversée de la Méditerranée n’a jamais été aussi périlleuse.
Parcours de vie : Mohamad Shahab Rassouli , un jeune Afghan sur les routes de l’exil
Mohamad Shahab Rassouli est né en Afghanistan en 1992. À l’âge de quatre ans, il se réfugie avec sa famille en Iran, fuyant le régime des Talibans. Dix ans plus tard, contre l’avis de ses parents, il décide d’entreprendre seul un long voyage vers l’Europe, fuyant la guerre et la misère, en quête d’un diplôme.
Il traverse la Turquie, la Grèce, l’Italie et la France, au cours d’un périple de près d’un an, frôlant la mort à plusieurs reprises. Sur la route de l’Angleterre, il est arrêté par la police à Boulogne-sur-Mer, puis hébergé dans un foyer. Placé par la suite dans une famille d’accueil, Mohamad Shahab Rassouli peut reconstruire sa vie et reprendre ses études.
Les immigrés et leurs descendants : entre intégration à bas bruit et discriminations
L’immigration comble les besoins dans de nombreux secteurs du marché du travail : agriculture, bâtiment, santé, services aux personnes ou aux entreprises. Les métiers du soin et de l’accompagnement aux personnes (assistantes maternelles, auxiliaires de vie, aides-soignantes), essentiels au maintien du lien social et au fonctionnement économique, sont souvent exercés par des femmes immigrées.
Certains parcours font figure d’exemples, dans le monde politique, économique, intellectuel, sportif, artistique et associatif. D’autres itinéraires illustrent la formation d’une classe moyenne souvent diplômée, dont les parents et grands-parents ont émigré en France. De nombreux obstacles subsistent pour les descendants d’immigrés, qui sont pourtant le plus souvent français dès leur naissance : les discriminations en raison du prénom, du patronyme, de la religion ou de la couleur de peau persistent malgré diverses mesures, comme la création en 2005 de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations (Halde) puis, en 2011, du Défenseur des droits, et des actions et campagnes de sensibilisation.
Parcours de vie : Nikolaï Angelov, de la rue à l’engagement pour l’inclusion des Roms
Né en 1990 dans une famille rom de Bulgarie, Nikolaï Angelov arrive à Paris à dix-huit ans, pour protéger son père arrivé quelque temps plus tôt par le biais d’un réseau de mendicité qui l’exploite. Le jeune homme espère trouver en France des opportunités inaccessibles aux Roms en Bulgarie. Après trois ans passés dans la rue, Nikolaï Angelov accède à un emploi puis réalise un service à la mairie de Paris avant d’y être engagé comme médiateur social. Naturalisé français en 2016, il poursuit un engagement en faveur de l’intégration et de la reconnaissance des droits des Roms, notamment auprès des jeunes.
Le quotidien d’une société multiculturelle
La France est de fait une société multiculturelle, même si les minorités n’y ont pas d’existence légale. Les unions mixtes progressent au fil des générations. Les pratiques linguistiques, culinaires et festives se transforment. Comme ailleurs dans le monde, les quartiers des villes françaises abritent des commerces où l’on peut acquérir des biens, profiter de services en lien avec sa culture ou simplement rencontrer des proches et prendre des nouvelles du pays. Comme par le passé, les personnes installées en France tissent avec leur pays d’origine des relations qui peuvent être d’ordre économique, affectif, politique. Nombreux sont les transferts d’argent orientés vers des activités productives et associatives. Les identités sont plurielles : des millions de Français possèdent au moins deux nationalités et inscrivent leur existence entre plusieurs pays.
Des discriminations aux enjeux mémoriels
L’ampleur des discriminations raciales est attestée par nombre d’enquêtes - il s’agit, par exemple pour la location d’un appartement, de vérifier si l’origine nationale ou l’apparence d’un potentiel locataire a pu être considérée comme un critère rédhibitoire par le propriétaire.
De nouvelles voix s’élèvent, parmi les victimes de discriminations, chez les intellectuels, dans les milieux associatifs ou, plus largement, l’opinion publique, pour dénoncer la « racialisation » dont sont l’objet de nombreuses personnes. Elles défendent une analyse « intersectionnelle » - même si le mot n’est pas toujours utilisé - des facteurs de discrimination (genre, milieu social, assignation raciale, handicap) et pointent le poids de l’héritage colonial dans les discriminations. D’autres, au contraire, voient dans ces concepts un risque de contradiction avec l’universalisme républicain.
Des questions en lien avec les héritages du passé se posent avec plus d’acuité : faut-il supprimer les symboles et monuments laissés par l’esclavage, la traite, la colonisation, ou les regarder en face en les assortissant d’un travail de pédagogie ? Les débats autour de la question des réparations, de la « repentance », du récit national et de la manière d’appréhender l’héritage historique de la France comme son passé divisent. Au sein des populations immigrées et de leur descendance, on souhaite que la « part d’histoire » des aïeux soit pleinement reconnue, pour elle-même mais également comme partie intégrante de l’histoire de France.
Ce corpus de textes prenant la forme de questions/réponses traite des enjeux contemporains liés aux migrations. Les "réponses" présentées visent à donner des informations et des définitions synthétiques, permettant de faire le point sur des débats en cours dans la société française autour des questions migratoires et de déconstruire quelques idées reçues…