Andalucia
Alain Gomis
Réalisateur de L’Afrance (2001), Alain Gomis revient avec un second long-métrage tout aussi désorientant, d’autant qu’il est, en trompe-l’œil, précisément appelé Andalucia. Comme un parcours disloqué pour tenter de saisir une identité incertaine. On pourrait dire de lui ce qui est dit de son héros : “Sacré Yacine, toujours le roi de l’espace...et du mouvement”. Si vous n’avez pas remarqué, dès le début, plus qu’une ressemblance, une parenté, dans la figure anguleuse de Yacine (l’énigmatique Samir Guesmi), comme dans sa silhouette longiligne, avec les autoportraits du Gréco, vous allez mettre un certain temps à comprendre ce que viennent faire l’Espagne et l’Andalousie dans la vie décousue d’un beur de banlieue au parcours tortueux. La banlieue, la cité, il a déjà donné. Un cocon hasardeux entre duvet familial et épines des potes. Des embrouilles, des arnaques, des rodomontades de bar, des amitiés démonstratives et éphémères, des codes vestimentaires, langagiers ou musicaux et puis, surtout, les frustrations et les désirs inassouvis. Alors, il a rompu sans fracas. Installé dans une roulotte proclamant son nomadisme, le modèle d’indépendance, d’étrangeté des gens du cirque. Pour survivre dans ce précaire royaume : des musiques entraînant la gestuelle, divertissant le corps, un musée Grévin personnel, un panthéon portatif, des posters d’idoles. Les derviches tourneurs dans leurs transes soufies, la grâce aérienne de Mohamed Ali, sanctification de Cassius Clay, Pelé éternellement canonisé dans son dribble de la coupe du monde 1970 (Brésil/Uruguay).... Djibril, ami d’enfance et épave, peut aller se faire voir avec ses propositions de retour au passé, aux incartades ; adieu aussi les petits boulots de survie, moniteur d’éducation physique, animateur pour handicapés, distributeur de soupe populaire... Difficile de rendre compte de toutes les déflagrations d’un film qui explose (tel ce moment, vindicatif et irrésistible, où il se paie une mise en boîte du cinéma français). Il ne reste plus qu’à partir. Tout quitter et se retrouver baladin du monde accidentel. Avec ce grand corps mal sapé et cette gueule d’hidalgo déchu, aller vers l’Espagne qui lui fait signe, qui l’a peut-être reconnu. Tolède, malgré les signes avant-coureurs, n’est pas vraiment la bonne destination. C’est à Grenade que s’éveillera le Mauresque endormi depuis des générations, recollant les morceaux de ses fantasmagories, apte à une vie réconciliée. Retenez votre respiration, pour ne pas briser les charmes de ce film poids plume qui a la légèreté d’un esprit malin enfermé dans une bouteille et qui s’évade ou s’évapore.