Champs libres : films

Bac Nord

Film de Cédric Jimenez (France, 2020)

journaliste

Bac Nord de Cédric Jimenez est la surprise de la rentrée en termes de fréquentation avec 900 000 entrées en deux semaines, ce qui est énorme, et le rythme ne faiblit pas alors même que la pandémie affecte les entrées en salles.

Bac Nord est un thriller musclé qui n’est pas sans rappeler le meilleur des polars américains tels French Connection ou les réalisations de Clint Eastwood. Le film de Cédric Jimenez s’inspire d’un fait divers qui a agité le landerneau judiciaire et policier de Marseille en 2012, lorsque des membres de la Bac (brigade anticriminalité) ont été déférés pour avoir franchi la ligne rouge : racket, trafic de stupéfiants et autres malversations qui vont entraîner une cascade de sanctions, de la révocation à la mise en examen. Le retentissement de l’affaire à travers la presse interpelle fortement Cédric Jimenez, originaire de Marseille, qui a grandi dans les quartiers Nord. Avec son producteur Hugo Sélignac, il a la chance de se faire présenter les vrais flics impliqués. Dès lors, le film est mis en chantier et verra le jour en 2020.

« Aux infos, on entend, nous explique Cédric Jimenez, des chefs d’accusation du grand banditisme comme “trafic de drogue en bande organisée”, “racket en bande organisée”. Je connais vraiment bien les quartiers Nord… que les flics déconnent là-bas n’a rien d’étonnant : ce sont des zones abandonnées de l’État et qui répondent à des codes particuliers. La police n’échappe pas à cela, mais la médiatisation de l’affaire me paraissait teintée d’hypocrisie, avec Manuel Valls qui déclarait qu’il allait nettoyer la police, etc… ça sentait la récupération politique. Ces flics n’étaient certes pas irréprochables, mais comment l’institution policière pouvait-elle autant se cacher derrière ces accusés ? Cette intuition demandait à être vérifiée, j’ai donc rencontré tout le monde, les policiers comme les mecs des cités, attendu que les langues se délient un peu, jusqu’à ce que j’aie assez d’infos pour me dire que je faire réaliser un film. Cette question de la responsabilité, de la rupture au sein d’un système entre ceux qui disent et ceux qui font, est un puissant levier pour la fiction, c’est à partir de là que ça devient du cinéma. »

Et le cinéma, Cédric Jimenez sait faire avec maîtrise, sens de la mise en scène et du récit, choix des comédiens et direction d’acteurs, sans parler des séquences d’actions dont la mémorable attaque policière d’un immeuble qui a toutes les allures d’une vraie guerre civile. Les quartiers Nord de Marseille détiennent un triste record : la zone au taux de criminalité la plus élevée en France… Sous la pression de sa hiérarchie qui veut à tout prix faire du chiffre, la Bac Nord, qui est une brigade de terrain, adapte ses méthodes, franchissant parfois les règles de la déontologie, jusqu’au jour où malheureusement le système judiciaire se retourne contre elle.

Contrairement à ce qu’on peut dire certains critiques, le film n’est pas pro-police ou anti-délinquants. Certes, il n’a pas le juste milieu des Misérables de Ladj Li qui suivait aussi trois bacqueux de Montfermeil, le côté naturaliste d’Un prophète ou de Dheepan de Jacques Audiard. Le film repose essentiellement sur le trio de comédiens formé par Grégory (Gilles Lelouch), le chef tout en charisme massif, Antoine, le chien fou de la bande (François Civil), qui vit d’ailleurs avec son chien, et l’anxieux Yassine (Karim Leklou, toujours aussi juste). L’intrigue se noue lorsqu’une info lâchée par l’indic d’Antoine, Amel (l’excellente Kenza Fortas), qui va les mettre sur la piste d’un énorme coup : un trafic de drogue, promesse d’un coup de filet retentissant pour le trio, qui désorganiserait le réseau des dealers, alors que la hiérarchie leur laisse la bride au cou pour mieux les lâcher plus tard… Les trois bacqueux vont bien évidemment devoir se salir les mains et franchir plus d’une fois la ligne jaune en intégrant le réseau du trafic.

Ils font parfois preuve d’humanité, comme cette scène où Grégory et ses collègues embarquent à bord de leur véhicule un gamin qui les outrage et qui est brusquement séduit par le gyrophare…, et du coup, chaque fois qu’ils repassent dans la cité, le petit leur dit : « Oh les gars, faites-moi faire un tour », et ils peuvent dès lors y pénétrer sans se faire caillasser…

« La Bac ne fait pas dans le social, raconte Cédric Jimenez. Ils ont des méthodes dures que je ne cautionne pas. Là encore, ce qui m’intéressait, c’était de me placer à hauteur d’homme pour montrer le système policier de l’intérieur, un système qui crée de la frustration, de la tension permanente dans ses propres rangs en ne donnant pas aux policiers les moyens d’atteindre l’exigence qu’on leur demande. Côté cités, on crée des territoires oubliés, la frustration existe dans l’exclusion, les gens sont parqués dans des endroits indignes où ils n’ont accès à rien. Chaque jour à Marseille une mère pleure son fils et chaque jour les hommes de la Bac doivent ramener du chiffre, encore plus de chiffre… Avec autant de rancœur accumulée de part et d’autre, une étincelle suffit pour mettre le feu aux poudres. »

Bac Nord restera dans les annales comme un film d’action à la fois rare et convaincant que Jimenez a parfaitement réussi, lui dont le prochain film, Novembre, racontera les attentats du Bataclan.