BENSAÏDI, Fawzi.-What a wonderful world
Cela devient une certitude : le cinéma arabe bouge. Il s’illustre notamment dans un domaine qui parfois dérange un environnement rétrograde : le réalisme social, focalisé sur un quotidien en mutation. Ce choix ne manque pas de pertinence, voire de courage, compte tenu des sanctions qui peuvent frapper des œuvres un peu trop émancipées des conformismes ambiants ou des censures rigoristes. Un certain jeune cinéma marocain semble faire fi de ce courant, ou aller au-delà, en empruntant d’autres pistes plus insolites et provocantes. On a vu ainsi récemment Marock de Leïla Marrackchi déchaîner la critique des grincheux et obtenir les faveurs du public avec sa chronique de blousons dorés, citadins héritiers de la nouvelle vague. Voici maintenant un autre “ocni” (objet cinématographique non identifié), sorte de manga maghrébin, de tragi-comédie, entre technologie et traditionalisme, l’inclassable What a wonderful world de Fawzi Bensaïdi. C’est le second film de ce cinéphile averti qui a travaillé pour Téchiné (Loin, 2000, H&M, n° 1234). Qui a surtout fait des débuts remarqués dans le long métrage avec Mille mois (2003, H&M, n° 1240), chronique acidulée d’un Maroc bourré de contradictions sous l’œil ahuri d’un gamin. Le voilà de retour, comme un grand, en perturbateur revendiquant de sa propre démarche dans une approche plus ardue et complexe, tout au long d’un film fracassant et fracassé. Un polar burlesque qu’il gère devant et derrière la caméra, parfois comme un Buster Keaton sardonique, parfois comme un serial-killer futuriste, avec en prime une romance amoureuse des plus inattendue : le tueur à gages et la fliquette du carrefour (l’auteur et Nozha Rahil). Personnages définitivement dépareillés dans un univers à deux vitesses : Casablanca cossue et Casablanca misérable, fonçant néanmoins vers la modernité, reliées par des téléphones cellulaires et des cybercafés. Fawzi Bensaïdi ne recule devant rien pour mener son intrigue : du cinéma muet avec ses textes incrustés, du parlant, du noir et blanc, de la couleur flashie, des cadrages rigoureux, des images tressautantes, des poursuites, des meurtres en hécatombe, des séquences sentimentales très crues ou très fleur bleue. Parfois on s’y perd un peu et on pense que trop c’est trop, comme dans un jeu électronique qui s’emballe. Qu’importe ! Kenza, la policière, prête sa voix à sa copine Souad qui anime un réseau de prostitution ! Hicham, hacker, infiltre les contrats homicides de Kamel, le héros ! L’auteur jubile de nous entraîner dans cette poursuite infernale, bourré d’archaïsmes et de high-tech. Certains se demandent ce que le cinéma marocain va faire là-dedans. Nous, nous saluons tant d’impertinence et de réalisme dévoyé, loin du vernis touristique ou du glacis islamique, alternative que l’on cherche souvent à nous imposer.