Voici un dossier que le comité de rédaction souhaitait faire depuis longtemps. Il aura fallu la persévérance de Christophe Daum, installé à Bamako depuis plusieurs années, et de son collègue Isaïe Dougnon, pour voir ce chantier aboutir. Montrer l’ancienneté et la complexité des migrations sur le continent africain s’avère encore aujourd’hui un projet intellectuel difficile. Il requiert de rassembler des travaux de recherche menés par des spécialistes qui travaillent sur place loin des circuits académiques influents du Nord. Les moyens techniques et les soutiens financiers dont ils disposent ne sont pas toujours suffisants pour répondre à leurs ambitions. Hommes et Migrations fait le choix de rassembler des travaux récents, parfois inédits, qui restent trop peu diffusés en Europe. Notre objectif est de vous proposer un autre regard sur l’Afrique à partir des circulations qui rythment la vie des sociétés.Considéré comme le bassin de l’humanité, le continent africain est à l’origine de toutes les grandes migrations de peuplement dans le monde. Or l’analyse de cette mobilité cristallise de nombreuses idées reçues. Contrairement à ce qu’en disent les médias et les discours politiques, si l’Afrique bouge depuis toujours, c’est dans des proportions bien plus importantes à l’intérieur de son périmètre que vers l’Europe ou d’autres continents. “La réalité des migrations africaines se joue donc principalement sur le continent, avec autant de trajectoires collectives et singulières qu’il y a de contextes de départ ou d’arrivée”, nous rappellent les coordinateurs dans leur introduction.

Ce dossier révèle la diversité méconnue des migrations internes au continent. La plupart des déplacements sont économiques ou provoqués par des conflits politiques, des guerres, des crises climatiques. Mais certains mouvements de population continuent de s’inscrire dans les cycles saisonniers du monde rural, quand d’autres s’apparentent à des rites de passage vers l’âge adulte. Plus généralement, dans le contexte africain de la famille élargie, les migrations permettent aux jeunes installés dans les villes d’accéder à un statut d’autonomie, à un revenu, à un métier, tout en s’affranchissant des réseaux familiaux, des liens avec le village d’origine. Ce faisant, ils s’exposent à l’isolement et la précarité, en dehors des solidarités qui ont favorisé leur déplacement.
On comprend, par ailleurs, que l’Afrique s’émancipe difficilement de l’histoire coloniale et du découpage arbitraire des territoires nationaux. Certains peuples ne reconnaissent pas forcément le tracé des frontières qui entravent leur circulation traditionnelle. Les migrations contredisent les identités nationales que les États africains, souvent affaiblis, cherchent à maintenir au détriment des identités ethniques ou régionales. Faute d’outils publics pour mettre en place des politiques d’immigration (et notamment l’accueil des réfugiés), les pays d’Afrique se voient de plus en plus contraints, par l’Union européenne, d’accentuer les contrôles à leurs frontières.
Enfin, c’est autour des zones de développement économique et urbain que se dessine la géographie des migrations sur le continent. Ces pôles d’attraction, qui se développent sans cesse, suscitent des modes informels et précaires de peuplement. Les migrants sont souvent confrontés à la xénophobie, au racisme et subissent parfois des violences. Espaces de friction des intérêts économiques et des identités, les villes africaines constituent pour eux un défi. La maîtrise de l’urbanisation galopante apparaît donc comme l’un des enjeux majeurs de l’Afrique contemporaine.