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De 1973 au Covid-19

Il peut être troublant de constater comment l’année 1973 et les premiers mois de 2020 peuvent entrer en résonance. Comment, selon la théorie de l’effet papillon, un battement d’aile en 1973 produira quelques effets en 2020. Comment aussi, en forçant la « concordance des temps », un micro-organisme joue, aujourd’hui, le rôle du durcissement des politiques migratoires d’hier, faisant toucher du doigt au plus grand nombre le sort jusque-là réservé à quelques-uns. De là à croire que l’expérience récente des assignations à résidence, des syndromes post-traumatiques résultats de deux mois d’enfermement, des limitations à la liberté de circulation, ou que la « peur du gendarme » des « sans-papiers » du Covid-19, puissent sensibiliser l’opinion aux sort des migrants – rendus clandestins depuis au moins 1974 –, il y a un pas. Du Covid-19 au souci de l’Autre ? Une farce qui ne bénéficiera même pas de quelques applaudissements en hommage aux premiers de corvée.

Deux battements d’aile

Le 11 septembre 1973, au Chili, Salvadore Allende est renversé par un coup d’État. Luis Sépulvéda a 24 ans. Arrêté, emprisonné, il est contraint à une vie d’exil qui s’est terminée en Espagne, où le romancier et « militant de gauche à l’engagement chevillé au corps et à la plume » a été emporté le 16 avril par le Covid-19. Il avait 70 ans. « “Raconter, c’est résister”, se plaisait-il à dire, en reprenant la devise de l’écrivain brésilien Joao Guimaraes Rosa. » (Le Monde, 16 avril 2020).

En 1973, Idir enregistre à Alger A vava inouva. En 1975, il débarque à Paris. Pendant plus de quarante ans, il ne retournera pas chanter dans son pays. « Je ne ferme pas les portes ce sont les portes qui se sont fermées » dira-t-il dans une conférence de presse donnée à Alger, le 3 janvier 2018. « Le jour où la langue amazighe a été “officialisée”, je suis venu […] ».

Un coup d’État par ci, une politique d’arabisation synonyme de déberbérisation par là et voilà que, 47 ans plus tard, deux hommes meurent en exil. Conséquence du contexte sanitaire ou réticences des autorités algériennes, Idir sera même enterré au Père-Lachaise. Les hommages, sur les réseaux, furent nombreux. « Le disque fatigué [raconte] nos racines, la nostalgie de nos parents, leur héritage culturel... “A Vava Inouva”, c’est un conte d’enfant mis en musique, ce sont quelques accords de guitare traçant des microsillons dans mon cœur » écrit Mabrouck Rachedi. Nabil Louaar se souvient : « Mon père repassait “A Vava Inouva” en boucle sur un petit tourne-disque qui annonçait une incertaine modernité. Ce sont mes premiers souvenirs musicaux, tant Idir était calé dans les valises d’immigrés d’Algérie, bercés par sa mélancolie.  Idir adoucissait les exils. » Pour Nacer Kettane, Idir, « a fait découvrir et aimer la langue kabyle, la culture amazighe, l'Algérie aux quatre coins du globe ». « Moi, à cette époque, j'avais le rêve français, écrit Moussa Lebkiri. Je rêvais en toutes lettres capitales, respirais toute la littérature d'un Victor Hugo, d'un Baudelaire loin de mon spleen kabyle. Son tour de chant en un tour de magie a réveillé mon âme d'un titi kabyle. Et me voilà sur le chemin de mes origines d’un Si Mohand u Mohand. » Pour Magyd Cherfi « un album, un seul et j’ai été poussé, mu par l’envie de savoir qui j’étais, la kabylité m’est soudain apparue comme essentielle, comme une composante de mon âme, elle rééquilibrait le gaulois qui longtemps s’était cru seul, et claudiquait sans son autre moitié. Un album et j’ai compris que je devais aller à la recherche de moi-même. Un album et la fierté s’est mue  en un fil d’Ariane qui tente encore aujourd’hui  le rapprochement de deux peuples, deux identités somme toutes souffrantes. Grâce à toi Idir, je deviens moi, est-ce peu ? » Idir Hocini sur le Bondy Blog (4 mai) écrit : « La langue et la culture berbère étaient en danger de mort quand Idir, un fils de berger, chanta pour la première fois sur les ondes d’une radio d’Alger, dans ce “dialecte” honni par une dictature qui voulait la cantonner à un simple folklore pour touristes. Une comptine que les femmes chantent l’hiver à la veillée pour endormir les enfants, avant même, peut-être, que les Romains mettent les pieds en Afrique. […] “ Tu t’appelles Idir comme le chanteur ?” Cette phrase,  je l’ai entendue des milliers de fois et avec une immense fierté. Surtout qu’au fil des ans, les compositions d’Idir célébraient la diversité culturelle dans toute sa splendeur. Idéal pour bibi qui grandissait dans une France Black, Blanc, Beur que je continue de chérir. »

Journaliste
Mots clés
Covid-19
immigrés
déni de reconnaissance