Chronique cinéma

El Camino de San Diego - Carlos Sorin

La carrière des grands footballeurs de ce temps n’en finit pas d’inspirer le cinéma. Citons Zinedine Zidane, notre héros national, aujourd’hui retraité, avec un documentaire sociologique (et un peu hermétique) Zidane, un portrait du XXIe siècle, de Philippe Parreno et Douglas Gordon, qui a désarçonné bien des aficionados ; Vikash Dhorasoo avec Substitute, autoportrait quelque peu hagiographique, voire mégalomane, réalisé en super-8 avec son ami Fred Poulet ; une œuvre de fiction plus conforme aux normes cinématographiques : Joue-la comme Beckam, de Gurinder Chadha qui, bien qu’exaltant le football féminin, fait référence à David Beckam, la coqueluche britannique mondialement connue. Et dans un genre encore différent, mais révélateur d’un même engouement, les irrésistibles stratégies de contournement pratiquées par les jeune femmes iraniennes pour assister aux matchs de sélection de la dernière Coupe du monde, à la barbe de leurs censeurs, dans le Hors jeu de Jafar Panahi. Si on définit El Camino de San Diego comme une pochade autour de l’idolâtrie que le peuple argentin a vouée à Maradona (le Diego du titre), irremplaçable n° 10, depuis le temps où il jouait à Boca Juniors jusqu’à l’étoile d’Albiceleste, l’équipe nationale, on se trompera lourdement et on n’aura rien dit de ce film délicieux et... humaniste. De même, si l’on s’en tient à l’écorce anecdotique d’un road-movie qui conduit le gentil Tati Benítez, bûcheron de son état, quittant femme, cahute et progéniture de son Nordeste natal (dans la forêt de Misiones) jusqu’aux faubourgs de Buenos Aires, à la rencontre de son héros éclopé et hospitalisé (à la suite d’une crise cardiaque et de quelques autres excès moins avouables). Il ne part pas les mains vides, en ces temps d’offrandes et de prières votives. En gage de reconnaissance, il brandit comme un talisman une encombrante racine arrachée à la glèbe un jour d’orage et qui rappelle, grosso modo, comme une icône rustique, la silhouette trapue du dieu du stade quand il lève victorieusement les bras et touche le ciel après un but de légende. Il n’y a que la foi qui sauve. Depuis la médiatisation des obsèques d’Evita Perón, on connaît les passions frénétiques et les débordements émotionnels des foules argentines. Le film de Carlos Sorin n’a aucunement pour objectif de railler l’enthousiasme populaire qui entoure l’apogée comme la chute des idoles. D’ailleurs Diego n’est pas mort. Seulement mal en point derrière les murs de sa clinique. Il s’agit de lui apporter un modeste réconfort. De lui faire plaisir. Peut-être de lui porter bonheur. Et puis, qui sait ? d’acquérir un rebond de gloire, proche de l’éternité, pour peu qu’un photographe s’avise d’immortaliser la scène de la réception de l’offrande. Muni de ce viatique à exhiber au fronton de sa cabane, Tati retournerait à l’anonymat comme un bienheureux. On ne sait ce qu’il adviendra de la racine-sosie (!) confisquée par des gardes du corps plutôt débonnaires. Peut-être plus sensibles à la naïveté de la ressemblance qu’à une transfiguration artistique à la Giacometti. Donc, dans tous les cas, arrivée à bon port. Entre-temps, nous avons découvert le plus attachant des personnages, non pas le dieu du stade qui, comme toutes les divinités, reste invisible et inaccessible, mais son acolyte, Tati Benítez (Ignacio Benítez, formidable acteur non professionnel comme tous ceux qui croisent son parcours). Chemins de croix et sentiers de la gloire où, à travers les aléas de la route, les intempéries, les complicités, se dessine toute une humanité chaleureuse et solidaire alors que l’on pouvait là soupçonner les plus sordides turpitudes. C’est un film chaleureux qui nous réconcilie, à travers une passion démesurée, avec le naturel des hommes simples. On dit simple comme bonjour. Pourquoi pas comme une mission accomplie à partir de quelques bouts de bois et l’aide de ses semblables ?