Histoire(s) d'enfants en migration
L’histoire des mobilités juvéniles hors du cadre familial ne date pas d’hier. Le ramoneur savoyard, la domestiques de ferme ou le mineur polonais, la gouvernante anglaise, l’élève boursier de l’empire colonial, l’enfant réunionnais transplanté en Creuse, et plus tragiquement les captifs de la traite transatlantique, les rescapés du génocide arménien, de la Retirada ou de la Shoah, et tous ceux jetés sur les routes par conflits illustrent cette mosaïque de l’enfance en exil à laquelle les collections du Musée national de l’histoire de l’immigration s’attachent à reconstruire une histoire singulière. Les recherches qui accompagnent cette patrimonialisation ouvrent désormais un chantier sur l’histoire des enfants en migration dont la revue Hommes & Migrations espère constituer un jalon.
Retour de la question sociale
Des millions d’enfants sont contraints de partir de chez eux. Aujourd’hui, d’après l’Unicef, un migrant sur huit dans le monde est un enfant. Ce n’est qu’aux début des années 1990, face à leur croissance démographique, que la migration des jeunes isolés est devenue une question sociale, notamment en Europe. La France a ratifié en 1989 la Convention Internationale relative aux droits de l’enfant. Cependant, les politiques d’accueil et d’accompagnement de ces jeunes migrants sont demeurées conditionnées par la méconnaissance de leur réalité.
Radiographie des dispositifs
Les articles scientifiques du numéro plongent au cœur des dispositifs publics français à partir du vécu de ces adolescents et offrent une analyse critique des pratiques professionnelles des travailleurs sociaux en charge de ce public considéré comme « incasable ». Les retards du traitement juridique et social, peu adapté à leurs besoins, renforcent la précarité de ces jeunes qui compensent cette instabilité à mi-chemin entre mobilité, transit et installation temporaire par une solide sociabilité. Leur visibilité dans l’espace public doit beaucoup aux réseaux d’hospitalité et d’actions culturelles qui se mobilisent pour leur venir en aide. Analysés dans ce numéro, ils participent de la capacité des mineurs à interpeler l’opinion sur leur sort, tout en composant avec les solidarités transnationales.
Une double violence symbolique
Ces jeunes sont la cible d’une double violence symbolique. La terminologie qui les désigne influe sur des représentations stéréotypées où la figure de l’étranger, de l’errant, du trafiquant mafieux, voire du terroriste recouvre celle du mineur. Face à cette catégorisation administrative, objet de tests d’évaluation et de contrôles policiers, la prise en compte de l’individualité de ces jeunes est confrontée à une balkanisation des réponses institutionnelles (hébergement, accès aux droits, santé, éducation etc.), sans cohérence ni lien entre elles. Certains traitements discriminatoires apparaissent comme spécifiques à des origines géographiques ou religieuses. D’autre part, le recueil de la parole du jeune mineur sur son vécu pour légitimer son statut juridique réactive ses souffrances et l’enferme dans une image de victime. Il n’y a ici ni respect de son intimité, ni confiance dans la crédibilité de son récit.
La création comme espace de refuge
Si la contrainte institutionnelle de la mise en récit de soi bloque le travail de résilience et de consolidation d‘un projet de vie futur, la création a investi les histoires de ces jeunes migrants et en livre d’autres visages. La revue interroge les artistes et les acteurs culturels qui tentent de donner la parole à ces jeunes tout en les aidant à panser leurs traumatismes. Que ce soit les romans de la sélection 2021 du Prix littéraire de la Porte Dorée, les initiatives de terrain, les chroniques littéraires ou de cinéma, ces imaginaires construisent des refuges avec d’autres images et mots sur ces enfances. « Appelle moi Freeboy. Je laisse mon passé derrière moi et regarde l'avenir incertain avec excitation. » (Boza ! de Ulrich Cabrel et Étienne Longueville, éd. Philippe Rey, 2020).