Champs libres : films

Hors Normes

Il y a 20 ans, Éric Toledano et Olivier Nakache, alors moniteurs de colonies de vacances, font la connaissance de Stéphane Benhamou qui a créé l’association Le silence des justes, spécialisée dans l’accueil et l’insertion des enfants et des adolescents autistes. Prenant sous sa coupe un parent d’Éric Toledano souffrant de cette pathologie, Stéphane Benhamou revoit le binôme d’amis pas encore cinéastes, mais déjà impressionnés par l’énergie et l’humanité que dégageaient les encadrants, lesquels associaient en une alchimie parfaite de jeunes référents et des jeunes en situation de handicap. Avec leur petite caméra, ils décident de tourner un film de six minutes présentant la structure de Benhamou déjà en manque de subventions. À Saint-Denis où ils opèrent, ils font la connaissance de Daoud Tatou qui gère également des autistes. Dès lors, les ingrédients sont en place pour que, vingt ans plus tard, Toledano et Nakache réalisent Hors Normes avec, dans le rôle de Stéphane, Vincent Cassel (Bruno dans le film) et, dans celui de Daoud Tatou, Reda Kateb (Malik dans le film).

Journaliste Cinéma.

Cette comédie sociale démarre comme un polar qui voit Reda Kateb et ses collègues courir à perdre haleine pour rattraper et ceinturer une ado paniquée qui se heurte aux passants. Autre séquence, autre problème, Vincent Cassel récupère le jeune Joseph (Benjamin Lesieur) dont la prestation fait oublier qu’il est autiste dans la vie. Dès lors, Hors Normes va raconter l’engagement et les difficultés de Bruno et Malik à la tête de leurs associations qui ne sont pas reconnues ou aidées par les autorités administratives, alors même qu’ils forment des jeunes issus des quartiers difficiles pour encadrer ces cas d’autisme aigu qualifiés d’hypercomplexes.

L’intérêt du film et sa force émotionnelle résident dans l’entremêlement des trois problématiques : celle des autistes bien sûr, mais également celle des jeunes des cités, ainsi qu’un « invité surprise » : la relation judéo-arabe. En effet, Vincent Cassel (Bruno) est juif pratiquant, mais surtout fonceur et prolixe quand il s’agit d’interpeller les inspecteurs des affaires sociales qui, tatillons, les contrôlent sans arrêt, tandis que Reda Kateb (Malik) est un musulman sans histoire aussi fonceur et direct que l’est celui avec qui il va nouer une forte amitié. En butte aux tracasseries administratives, les deux compères, déterminés et pugnaces, flirtent le plus souvent avec la légalité. Mais rien ne les arrête. Pas plus les difficultés qu’ils rencontrent avec le troisième héros du film, le jeune Joseph, quasi ingérable et pourtant attachant, malgré sa violence envers sa mère et son « toc » qui consiste à tirer systématiquement le bouton d’alarme du métro…

Le casting improbable est l’autre réussite du film, mélangeant dans une sorte d’alchimie les professionnels et les vrais autistes ou éducateurs. Depuis le succès phénoménal d’Intouchables en 2011, suivi de Samba avec Omar Sy (2014), et Le Sens de la fête (2017), le duo Nakache/Toledano a confirmé que la direction d’acteurs et la réalisation à deux étaient possibles, à l’instar des frères italiens Paolo et Vittorio Taviani qui en ont administré la preuve dès les années 1970 et 1980. Mais autant les Taviani ont toujours œuvré sur le versant du drame social et surtout historique, autant le binôme français, attaché à la comédie sociale, y ajoute des notes d’humour ou d’émotion qui emportent l’adhésion du spectateur.

« Qu’est-ce qui définit la notion de marge et la notion de norme ? » s’interroge Éric Toledano qui précise : « Ce que montre le film, c’est que parfois, c’est en transgressant la norme, à l’image de Bruno et Malik, qu’on la redéfinit. Nous traversons une période où la désobéissance civile gagne, la transgression peut être chaotique mais fertile. Nous n’avons aucune réponse à apporter avec le film, pas de message à adresser au reste de l’humanité. Plus nous avançons dans la vie, plus nous avons la certitude que ce qui importe, c’est le niveau de questionnement. En la matière, la rencontre avec ces multiples personnalités que nous avons eu la chance de côtoyer est absolument passionnante. »

L’autre rencontre intéressante, c’est bien sûr celle du tandem de réalisateurs avec les deux comédiens principaux, Vincent Cassel et Reda Kateb, qui se révèlent « Toledano/Nakache compatibles ». Écoutons encore Éric Toledano au sujet du casting : « Nous étions fans de ces deux acteurs depuis longtemps. Avant même d’écrire une ligne, il nous fallait une impulsion de départ, un autre déclic et, chez nous, il vient souvent des acteurs. Nous admirons chez Vincent ses qualités de “transformiste”, sa propension à “choper” les gestes et le physique des personnages qu’il doit incarner. Et puis, ça nous plaisait de lui faire jouer le rôle d’un homme qui n’est pas très à l’aise avec les femmes… Quant à Reda, nous le suivons film après film, il a toujours un jeu fin et réaliste, très charismatique, il est lui aussi dans l’incarnation. Leur rencontre avait l’allure d’une belle promesse de cinéma. Nous avons décidé d’aller chercher chez eux cette énergie. » Et cette énergie, formidablement développée par le tandem Cassel/Kateb, innerve la totalité du récit qui a tous les attraits de la fiction et la force de la réalité sociale.

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