Introduction
On ignore largement, mais les linguistes le savent, que dans les régions isolées, la diversité de langues est très supérieure à celle que l'on constate dans les régions ouvertes aux influences extérieures.Ne dénombre-t-on pas, pour une population de 250 000 habitants, quelque vingt-huit langues autochtones en Nouvelle-Calédonie, cette île des antipodes dans l’océan Pacifique ? Pour grande que soit la diversité linguistique de ces territoires, on observe également dans les zones ouvertes aux flux migratoires un foisonnement de langues, la diversité étant aux langues ce qu’elle est à la vie dans le concept de biodiversité,à savoir une condition comme une conséquence des échanges.
Il y a lieu d’en prendre lamesure et,plus encore, il importe de comprendre la destinée de ces langues,de toutes,que l’on parle de la langue adoptive du pays d’accueil,véritable clé de l’intégration, ou des langues des migrants, parce qu’elles traversent l’espace social, qu’elles sont objet de demande sociale et facteur de cohésion sociale.
L’éclectisme de ce dossier consacré aux langues dans lamigration est voulu. Il tient à la volonté de mettre en lumière des aspects d’une question polymorphe qu’on voit rarement se côtoyer, les éclairages proposés n’épuisant pas le sujetmais donnant à voir son actualité.On se souvient au passage du n° 2 desCahiers de l’observatoire des pratiques linguistiques en 2008 au titre évocateur de “Migrations et plurilinguisme en France”, de même que du dossier de novembre-décembre 2004 d’Hommes et Migrations,intitulé “Langues de France”.
Les choses ont-elles changé depuis ? La réponse est forcément positive dès lors que l’on considère que les langues sont soumises au principe de l’évolution,ce qui nous conduit à envisager l’actualité de notre sujet. Notre point de départ est l’intégration linguistique des migrants adultes, un phénomène marquant des années 2000 ; cela comprend la comparaison des politiques mises en oeuvre en Europe, l’impact des compétences linguistiques dans la performance économique desmigrants au Québec et l’apprentissage du français dans un centre social parisien avec des jeunes adultes filmés dans un documentaire offert dans ce dossier.
La langue du pays d’accueil, la langue d’origine ou la langue des parents constituent un ensemble de pratiques plus ou moins visibles (ou audibles) qui suscitent notre curiosité.
L’enquête Trajectoires et Origines réalisée par l’Ined en 2009 s’intéresse à l’héritage et aux pratiques linguistiques des descendants d’immigrés en France,tandis que les pratiques langagières des petits enfants de migrants italiens et espagnols font l’objet d’une étude conduite en Suisse.
L’Observatoire des pratiques linguistiques (cellule interne à la DGLFLF) cherche, de son côté, à établir un lien entre les modèles d’intégration et les pratiques langagières des migrants et descendants de migrants.
Philippe Lazar, quant à lui, s’interroge sur le poids des langues dans la fabrique de l’identité. À côté de l’accès à la langue du pays d’accueil, la reconnaissance des langues des migrants détermine la bonne gestion du plurilinguisme : cela concerne la valorisation du bilinguisme au cours de la petite enfance du point de vue d’une psychologue clinicienne, la médiation linguistique pour permettre auxmigrants l’accès aux services, sans oublier la transmission et l’enseignement de l’arabe en France, première langue issue des courants migratoires aujourd’hui avec quelque troismillions de locuteurs.
La dernière partie du dossier prend un tour littéraire avec le dictionnaire des écrivains migrants qui ont choisi d’écrire en français, réalisé sous la direction d’universitaires autrichiennes, un article sur la langue maternelle et la langue d’écriture,un entretien avec la linguiste Henriette Walter consacré à la langue française, et la littérature arménienne en France sous la plume de Krikor Beledian, écrivain de langue arménienne et auteur d’essais en français.
On en conclura que si les langues appartiennent à ceux qui les parlent, les oeuvres de l’esprit font vivre ces langues dont elles prolongent à l'infini l'écho. On ne dira jamais assez que les langues ont, en plus de leur fonction de communication et d’insertion pour ceux qui les maîtrisent, une dimension créatrice.