À l’échelle de l’observation, l’implication des régions
En publiant, sur deux numéros, l’ensemble des résultats d’un programme d’études commandité par l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé) visant à retracer, sur un siècle et demi, l’histoire des immigrations propre à chacune des régions de France, la revue hommes et migrations donne un aperçu du travail accompli par 25 équipes d’historiens et de sociologues, appartenant pratiquement toutes au vivier d’universitaires ou de chercheurs présents dans chacune des régions. Leur mobilisation témoigne de l’évolution, depuis trente ans, de la recherche sur l’immigration en France et invite à déployer l’histoire du peuplement dans des approches comparatives. À l’heure où l’on entreprend de réformer la recherche et d’interroger les compétences territoriales de l’État, l’exemplarité d’un appel d’offres, coproduit avec l’ensemble des directions régionales de l’Acsé, mérite, également, d’être soulignée. Elle démontre la capacité des pouvoirs publics à décentraliser la commande et à engager, dans le renouveau des investigations, l’ensemble des territoires où se joue aujourd’hui la cohésion sociale. Réaffirmer cette capacité d’ingénierie collective, en des temps de crise financière où la rareté des crédits en sciences sociales exige de mutualiser des compétences et de construire des projets animés par l’implication d’acteurs pluriels, est un des acquis de ce programme qui a suscité un investissement partagé :
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de la part des partenaires associés à la coordination nationale – mission recherche du ministère de la Culture, de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration, de Génériques, mais aussi, au sein des comités de suivi régionaux : représentants des Drac, des conseils régionaux, des archives départementales et, enfin, des associations investies localement sur le champ de la mémoire, favorisant des logiques d’appropriation et de restitution locale ;
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de la part des chercheurs eux-mêmes, confrontés aux attentes institutionnelles et aux calendriers impitoyables de la commande, qui ont relevé le défi de tout faire tenir (récit introspectif, inventaire statistique et bibliographie) et de donner le meilleur d’eux-mêmes à des questions engageant des enjeux de mémoire et de réconciliation collective ;
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enfin, de la part de toute l’équipe de coordination scientifique qui, sous la direction bienveillante de Gérard Noiriel, a garanti le projet, sa crédibilité et sa cohérence, en réunissant, trois années durant, les chercheurs régionaux, à l’École des hautes études en sciences sociales, lors de séminaires d’échanges favorisant l’approche comparative et la convergence des questionnements.
La qualité des résultats, qui doit beaucoup à la solidité des équipes, résulte également d’un processus d’adhésion à un objectif collectif impliquant, pour les chercheurs comme pour les pouvoirs publics, d’en partager le risque. Sans cette conjonction d’efforts et de volontés, entre le niveau national et le niveau régional, le programme n’aurait pu aboutir en raison de son extrême difficulté, y compris organisationnelle. Paradoxalement, l’ampleur du programme, la complexité des attendus du point de vue des chercheurs comme du point de vue des institutions, les contraintes multiples portées par les universitaires pour répondre, en des temps très courts, à l’ensemble des exigences du marché ont joué, par des effets de solidarité et de confiance partagée, en faveur de la ténacité des équipes et de la qualité des résultats. Ce panorama des recherches menées dans chaque région de France et d’outre-mer offre aujourd’hui à la Cité un matériel d’enquête inédit. Rappelons que c’était, dès l’amont de la commande, en 2005, son objectif : offrir au nouveau musée des connaissances nouvelles, susceptibles de rencontrer l’intérêt d’un public large. D’où l’injonction faite aux chercheurs de présenter l’histoire reconstruite, sous forme d’un récit, à terme, publiable.
Chaque récit est singulier. Si les réponses apportées sur les départements d’outre-mer, en raison du fait colonial, convergent à rendre compte de sociétés marquées par l’héritage de l’esclavage, de l’engagisme qui lui succède et par l’échec d’un développement économique construit sur des migrations forcées, les territoires de la métropole, où s’inscrivent des vies de labeur oubliées, font renaître la variété des économies locales, à dominante rurale ou industrielle, lesquelles apparaissent dans toute leur diversité.
C’est donc à 25 histoires différentes que le programme aboutit, révélant, au sein de lignes de fractures locales qu’il reste encore à approfondir, la spécificité économique des territoires qui agrègent, selon des rythmes et des concentrations de migrants différenciés, les apports successifs de main-d’œuvre et de peuplement.
Achevé par un colloque inscrit dans le cadre de l’année européenne du dialogue interculturel, organisé à Paris les 15 et 16 septembre 2008, la restitution des travaux poursuit sa route, accompagnée par les directions régionales, à Orléans, Rennes, Marseille… Capital de données qu’il convient désormais de rendre accessible, à la recherche comme au grand public, par un travail de publication.